mardi 15 décembre 2015

Maso



Trois jours avec... nous l'appellerons Carl. Trois jours où j’ai dû admettre que nous avons tous, la possibilité de commettre un meurtre. Carl est maso. Ayant accepté de devenir parrain au baptême d’un bébé né chez un couple d’amis, il donne maintenant la majeure partie de sa pension d’enseignant pour permettre à cet enfant de faire des études de médecine. Pourtant, il a eu une enfance heureuse. Il aimait ses parents et ses parents l’aimaient. Alors, pourquoi est-il encore vierge? Il le sera toujours, évidemment. Pourquoi est-il toujours aussi nul en dessin après avoir suivi des cours du soir pendant trois ans ? Pourquoi marmonne-t-il sans arrêt, exprimant vocalement la moindre de ses pensées, lisant les panneaux publicitaires, la signalisation routière et les enseignes de commerçants comme un gamin de six ans, tout fier de savoir lire ? Pourquoi lui est-il pratiquement impossible de prendre la moindre décision pratique dans sa vie de tous les jours ? Il possède quand même la lucidité de se considérer comme un raté mais alors, pourquoi n’essaie-t-il pas de s’en sortir ?

Il n’a pas la télé. Ce n’est pas un crime. Cependant, pour quelqu’un qui suit des cours de dessin, on pourrait penser qu’il serait sensible à l’extraordinaire talent visuel dont font preuve les grands réalisateurs de cinéma. Il n’en est rien. Pour lui, les plus émouvants chefs-d’œuvre du septième art ne sont, comme au temps des frères Lumière et de “L’arroseur arrosé” qu’un amusement de foire. Il n’en saisit ni la beauté ni la complexité technique. 

Voilà pourtant quelqu’un qui possède une culture immense. On peut lui parler peinture, littérature, musique de tous les temps et de tous les pays, il connaît. Une amie est venue en coup de vent pour me demander si je pouvais l’aider à rédiger sa thèse sur Italo Calvino. J’ai dit « non ». La littérature italienne n’est pas mon fort. Carl a bondi comme un ressort : “Oui, bien sûr, montre-moi ton plan et ce que tu as fait. Sous quel angle vas-tu l’aborder ?” etc. Au début, c’est à dire quand j’ai rencontré Carl dans les années 70, je restais baba. Maintenant, j’ai l’habitude. C’est un génie mais aussi un bonzaï : une plante torturée qui ne s’est jamais épanouie. Je suis triste pour lui car je l’aime bien, au fond.

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