lundi 29 novembre 2021

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Personnages principaux I : Célimène.



Le personnage principal du Misanthrope est Alceste car c’est bien lui, le misanthrope, n’est-ce pas ?

En fait, ce personnage en cache un autre, encore plus important:   Célimène. Alceste et les petits marquis tournent autour de Célimène comme des planètes autour du soleil. Elle est au centre de la pièce. Sans elle, pas d’intrigue, pas de développement.

Nous évoluons dans le milieu assez raréfié des riches oisifs. Ces gens-là n’ont rien à faire, littéralement. Ils ne dépendent d’aucune activité pour leurs revenus. Comme l’a si bien vu Pascal, ils s’adonnent à des divertissements, des écrans entre eux-mêmes et la mort. Leur grande occupation est d’aller en visite chez les uns et les autres. 

A” envoyait un valet proposer une visite ou une invitation. La réponse de “B” arrivait par valets interposés. Moins rapide que le téléphone, mais tout aussi efficace. Et que faire lorsqu’on recevait ou lorsqu’on était reçu ? On badinait, on se mettait en valeur, on écrivait de courts poèmes d’amour. Comme Célimène, on se moquait des autres avec beaucoup d’esprit ou, comme Arsinoé, avec beaucoup de méchanceté.

A notre époque, il y a davantage de femmes que d’hommes. Elles vivent plus longtemps. Au XVII° siècle, il y avait davantage d’hommes que de femmes. Les naissances à répétition et la fièvre puerpérale faisaient des ravages.

Il faut ajouter que les femmes n’avaient aucun droit légal. Elles dépendaient de leur père jusqu’à leur mariage et de leur mari après leur mariage. Les seules femmes vraiment libres étaient les veuves, et on peut dire sans risquer de se tromper, qu’elles étaient joyeuses. Or Célimène est une jeune veuve. Esprit vif, caractère affirmé, va-t-elle se replacer sous le joug d’Alceste ? Elle l’aime bien, pourtant : de tous ceux qui gravitent autour d’elle, il est le seul qui fasse preuve de probité, mais il y a des limites à la subservience. 

Ne mélangeons pas les époques : Célimène, n’en déplaise à quelques âmes fébriles, n’est pas une annonciatrice du féminisme, mais elle s’est choisie elle-même pour elle-même. Egoisme ? Je ne pense pas. Quand 99% de la loi est contre vous, mais qu’il est possible d’en éviter le joug, qui ne deviendrait pas égoïste ? Le cadre crée l’individu. 

Oui, pour moi, Célimène est bien le personnage principal du Misanthrope.



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Personnages principaux II

Charles Bovary

Le roman s’appelle Madame Bovary DONC elle est bien le personnage principal du roman… du moins en apparence.

Gustave Flaubert était visiblement amoureux de son personnage. Ce genre de choses arrive à presque tous les écrivains. 

Le roman, cependant, commence et se termine avec Charles Bovary. Le premier mot est troublant : Nous ! Il implique une certaine complicité avec le lecteur sans aller jusqu’au niveau d’identification qu’aurait créé le Je. C’est l’histoire de Charles, du début à la fin ; c’est l’histoire de SON mariage. 

Un autre argument en faveur de cette théorie consiste dans le fait que normalement le personnage principal est sympathique. Le lecteur s’identifie avec lui. Effectivement, le lecteur s’identifie avec Emma. Flaubert aussi puisqu’il a dit : “Madame Bovary, c’est moi !” Et pourtant,  quand on analyse la personnalité d’Emma, on doit conclure qu’elle n’est pas sympathique. 

Enfant, puis adolescente, elle se complaît dans les romans à l’eau de rose. Elle est insatisfaite de son sort et rêve de sortir de son milieu ; ambition assez courante, mais elle s’y prend mal. Elle épouse Charles pour l’unique raison qu’il est médecin et que cela doit, en principe, lui donner un certain niveau social. Elle est déçue par la réalité mais finira par s’en contenter tout en lorgnant vers le gros propriétaire terrien de la région et en rêvant de bals, réceptions et dîners en tous genres. Elle est trop bête pour se rendre compte que les hommes veulent simplement coucher avec elle. Pire : quand elle devient mère, elle néglige son enfant, et même, psychologiquement parlant, l’abandonne. Finalement, elle choisit pour se suicider une méthode particulièrement stupide et douloureuse. Tout au long du récit, le lecteur, comme Flaubert, s’identifie avec une petite sotte égocentrique. 

On a beaucoup écrit sur cette apparente contradiction. J’y vois une émouvante leçon de tolérance. Nous sommes tous capables d’égoïsme. Nous sommes tous très doués pour certaines choses et très peu doués pour d’autres. Charles a aimé (plus qu’aimé, adoré) Emma telle qu’elle était, sans la juger et sans la condamner. En fin de compte, ça l’a tué. Ce roman, c’est la vie et la mort de Charles.



Homais :



On a aussi suggéré que le pharmacien Homais représentait le personnage principal de Madame Bovary. Il est le symbole de la médiocrité triomphante. Financièrement ou professionnellement, les personnages de ce roman échouent, sauf lui. C’est un automate dénué de tout élan de sympathie envers ses frères humains. C’est une machine à réussir… et il réussit effectivement. Il a droit à la dernière ligne du roman : il est décoré !

lundi 27 septembre 2021

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Impressions d’Ecosse :


Tout au long du voyage, j’ai été frappé par la prolifération de nouvelles usines ainsi que par la nouveauté de leur style. Pour la première fois depuis le début de la révolution industrielle, les usines (ou les architectes de ces usines) font un effort pour les insérer harmonieusement dans le paysage.

Autre nouveauté, ou plutôt un renouveau : le retour et la prolifération des murs en pierre sèche. Un immigré Afghan a réussi à intéresser sa commune Écossaise au fait qu’en Afghanistan, presque toutes les propriétés sont entourées de murs en pierres sèches. Les murs champêtres écossais s’effondraient car personne ne savait comment les réparer. C’est loin d’être aussi simple que ça en a l’air. Cet Afghan a mis sur pied un atelier pour rénover les murs. Succès foudroyant : c’est maintenant un chef d’entreprise qui emploie d’autres Afghans dans toute l’Ecosse et jouit d’un excellent niveau de vie. 


Un petit cocorico : hier il a fait chaud (oui, même en Ecosse) et j’ai eu envie d’un jus de fruit. Au bar de l’hôtel, j’ai demandé un jus d'abricot. On m’a regardé comme si j’arrivais d’une autre planète. J’ai essayé pamplemousse, puis mangue… même réaction. Jus de tomate ? Kif-kif ! J’ai dû me contenter d’une sorte de jus de fruit qui aurait pu servir de rince-bouche chez le dentiste. Cela m’a remis en tête l’une des conclusions du Hudson Institute : la France jouit de la meilleure qualité de vie pour les gens aux revenus modestes. 


La France et l’Ecosse se sont toujours bien entendues. Au début de la guerre de cent ans, Froissart, l’historien attitré de Louis IX, se trouvait à Sterling. Le roi écossais David II, ayant eu l’occasion de voir des tapisseries de Paris venant de la manufacture qui deviendra plus tard Les Gobelins, demanda à Froissart de lui en commander une. De retour en France, Froissart n’avait plus qu’une idée assez vague du château de Stirling (trop de whisky, peut-être), si bien que la tapisserie, censée représenter le château vu depuis la prairie des tournois, est assez loin de la réalité, mais David l’a aimée quand même. Elle se trouve maintenant dans la salle à manger de l’hôtel où je suis descendu. J’ai essayé de trouver sa valeur sur le Net : aucune chance, seulement le prix d’une reproduction pour 450€. Et l’original ? Il faudrait probablement ajouter deux zéros. Les propriétaires de l’hôtel s’en accommodent volontiers. 



Note un peu triste : sur les 97 distilleries de whisky écossaises, 24 ont été rachetées par la firme italienne Campari, et cela parmi les plus importantes. Pourquoi ? Trop de taxes ? Le whisky se vend moins cher en Italie qu’en Ecosse. 


Dans l’imagination populaire, les trois symboles les plus frappants de l’Ecosse sont : le kilt, les binious et le haggis.

Je n’ai vu que deux kilts : le premier visiblement porté par un touriste américain, le deuxième par un authentique Ecossais. Il y a une façon de marcher qui ne trompe pas quand on sait porter un kilt. Je ne me suis pas risqué à en acheter un.

En 10 jours je n’ai pas entendu un seul biniou.

J’ai essayé le haggis. Un seul essai n’a certes pas valeur de statistique. Disons simplement que le plat n’était pas désagréable, et restons-en là. C’est un peu comme l’architecture urbaine. Elle n’est pas à 

proprement parler laide mais désespérément lourde et froide. 



Et les paysages dans tout cela ? Magnifiques : 20/20. J’ai eu la chance de ne subir qu’un seul jour de pluie (juste du crachin). La brume qui parfois effleure les lacs ainsi que leurs rives emmitouflées de sapins ou de feuillus vert sombre, évoque des grondements de violoncelles et des lamentations de cors de chasse. Pas étonnant que Mendelssohn & Bruch y aient puisé de l’inspiration. 





mardi 3 août 2021

 







Urchin

(an extremely short story)



It was her first day in secondary school. She had just turned eleven. Her head cocked to one side, she looked somewhat… dislocated. We found out later that her father walloped her regularly and had damaged her eardrums.

A heavy school bag pulled her shoulder to the right. The buttons on her dark blue cardigan were not set in their proper holes. The hem of her skirt was leaning to the left. One of her socks had collapsed on its ankle. With her greasy hair and tired-looking eyes, Leanne Cornish was, almost to the point of caricature, a living illustration of a nineteenth century street urchin. To complete the picture, she stank like a pile of manure.

Mrs Badger (no need for a nickname in her case), the head of lower school, took Leanne to one side and learned that water had been turned off in the Cornish family flat. Something to do with unpaid bills. Bodies and clothing had remained unwashed for God knows how long. Toilet unflushed.

After talking to Health & Safety at the town hall, Mrs Badger learned - as did the rest of the staff - that denying water to a family was illegal, whether bills had been paid or not. A few days later, they were reconnected.

Meanwhile, Miss Halliday, the girls' P.E. teacher, had been allocated the unenviable task of making sure that Leanne indulged in a good shampoo, shower and scrub. She also found suitable garments among the lost (and never claimed) items of clothing piling up in the back room of the gymnasium.

The five years that Leanne Cornish spent in our school were not easy ones for herself or her teachers. The child was aggressive, bad tempered and contrary. Often in detention, she reminded me of a wild kitten. The staff did not like her, and she did not like them. Nor did she have any friends that I could see.

Social workers kept an eye on Leanne and her family. The Cornish house was a pigsty, they said. You could not see the floor for stains, candy wrappers, shopping bags and crushed pizza boxes. In the living-room, the arms of the couch were shiny black with dirt, and to make matters worse, the television would be blaring twenty-four hours a day, or so neighbors complained. No wonder Leanne could not do her homework, even if she had wanted to. Still, it was not enough apparently to remove the child from her environment.

*

Ten years went by when, one day, as I was coming out of the Post Office, I heard a shrill “Sir, sir !” behind me. I turned round and immediately recognized Leanne. She was pushing a pram. But what a difference ! She looked healthy and she was smiling. I don't think I had ever seen her smile. She was obviously squeaky clean, and so were her clothes, the sleeves of her white top displaying straight creases of military precision.

“Leanne ?” I exclaimed.

“Yes Sir !” Her smile widened even more then disappeared. “I am so sorry ! I was such an 'orrible child in school.”

“No, you were not.” (never thought it would be so easy to lie) “But you were certainly unhappy. You seem to be doing all right now, and with a lovely baby.”

The smile came back : “Her name is Emily.”

There were a few seconds of awkward silence between us. “I found a good man” she went on, “the sort I never knew would be around and I would meet.”

“I am very pleased for you.”

More awkward silence. Then : “Well, good bye Sir. It was nice to see you again. I'm sorry I hated you. Nothing personal, as they say : I hated everybody, I think.”

She swiveled the pram and walked away at a brisk and determined pace.











dimanche 23 mai 2021

 ARTISTIC VANDALISM

Bellini’s Norma takes place in 50 BC among Druids in Gaul, which is probably why the Royal Opera House chose to populate it with SS soldiers. The props are made of hundreds of Christian crosses. Characters include choir boys pushing a giant incense burner.

The ugliness of the stage is a proper illustration of the stage director’s own mind. It is all the rage, these days, to “modernise” stage sets and costumes of operas. Cosi fan tutte was recently played in contemporary costumes (well, almost).

What’s the point ? Are spectators too thick to understand what Bellini and Mozart had in mind ?

I could well accept a certain amount of stylisation and streamlining of costumes, but not a deliberate attempt at making them both ridiculous and ugly. Stage directors obviously think of themselves a being so much smarter than the original composers and librettists. They want to “improve” on Bellini and Mozart. Why don’t they also grab brushes and pots of paint, go the Louvres or the Hermitage and “improve” Vermeer’s or Renoir’s paintings ?

The subliminal messages of this cultural vandalism are on at least 3 levels :

1.      1. People in those days were silly. 2. We are so much better than they were. 3. They didn’t know how to convey the universal appeal and message of their works, so here we are, doing it for them.

What sort of sterile, nauseating, mutual-admiration society is now gravitating in the world of arts ?

You want something revolutionary and aggressive ? Fine : create it yourself, but don’t disfigure previous masterpieces. Trouble is : you are quite incapable of actually creating anything, are you not ?