mardi 24 octobre 2017

Exceptions



Exceptions qui confirment la règle.
La reprise d’un film est moins bonne que l’original. C’est vrai, mais…
Je pense à deux exceptions. Il y en a probablement d’autres.
Three Men and a Baby, mis en scène par Leonard Nimoy est une reprise du film français Trois hommes et un couffin de Coline Serreau. J’y ai trouvé les dialogues moins hystériques et beaucoup plus drôles que dans l’original. La qualité de l’image est meilleure, et le spectateur sympathise plus facilement avec les protagonistes.
Lolita d’Adrian Lyle est une reprise du Lolita de Stanley Kubrick. J’ai une immense admiration pour Kubrick, mais tout artiste, même tout grand artiste a des moments de faiblesse. Le Lolita de Kubrick est malmené de plusieurs façons. Lolita, qui est censée n’avoir que quatorze ans, en a clairement vingt ou plus. Quant au professeur, joué pourtant par le formidable James Mason, le scénario s’acharne à nous le présenter comme un être dur, égoïste et attiré uniquement par le côté physique de Lolita. Le spectateur a beaucoup de mal à s’identifier à un personnage aussi rébarbatif. Lolita elle-même n’est qu’une petite aguicheuse pleine de caprices. Son cœur est froid comme un glaçon. Par contraste, la Lolita d’Adrian Lyle n’avait vraiment que 14 ans au moment du tournage, et ça se sent tout de suite. Elle n’est pas amoureuse de son professeur, mais elle dégage une chaleur humaine, une dimension psychologique et une intense sensualité, que la Lolita de Kubrick ne possède pas. Le professeur, joué par Jeremy Irons, est sympathique. Il n’est pas attiré uniquement par le physique de Lolita : il en est vraiment amoureux. Si l’on ajoute la somptuosité des images et des cadrages, on se retrouve devant un vrai chef d’œuvre, comparé à une entreprise ratée.
Autre lieu commun : le film tiré d’un livre est moins bon que le livre.
C’est très souvent vrai, surtout si le livre est excellent.
Je n’aime pas beaucoup les romans de Stephen King, et puisque nous parlons exceptions, j’en mentionnerai une : Misery. Pourquoi ? Parce que dans Misery on ne rencontre ni fantômes ni esprits maléfiques. Dans un roman, amener des esprits est vraiment une solution de facilité, un deus ex machina. On peut leur faire accomplir n’importe quoi n’importe quand. Les limites physiques et mentales de l’être humain sont abolies ; or ce sont précisément ces limites et ce carcan qui sont à l’origine du drame de la condition humaine. C’est pour cela que j’aime Misery : aucune intervention extrahumaine. Comparé au roman, le film de Bob Reiner est médiocre, et confirme ainsi l’idée communément acceptée que le film est inférieur au livre.
Restons avec Stephen King, mais cette fois pour The Shining. L’auteur présente les fantômes et autre esprits maléfiques comme étant bien réels, au point qu’ils s’échappent de l’hôtel en flamme par les fenêtres ! Mais maintenant nous retrouvons Stanley Kubrick. Dans son film, tout ce qui est magique et visions terrifiantes se passe strictement dans les imaginations surchauffées de l’écrivain raté et de son fils. Résultat : un chef d’œuvre qui dépasse de loin le roman.

vendredi 6 octobre 2017

Je sais, je sais !



On adore savoir. On aime moins faire l’effort de chercher à savoir. Quand l’homme préhistorique se demandait ce qu’il y avait au-delà de l’océan, ce qu’était le tonnerre, la course du soleil dans le ciel, la naissance, la souffrance et la mort, il se trouvait déjà des petits malins pour lui dire : “Moi je sais !” Ce fut la naissance des religions, la superposition de l’empire du rêve sur celui de la réalité.
Si l'on excepte l'alchimie, qui n'a jamais donné de grands résultats, la recherche scientifique n’existait pas au Moyen-Age. Cela n’empêchait nullement nos ancêtres d’élaborer de stupéfiantes techniques : moulins à eau et à vent qui ne se contentaient pas de moudre du grain ou de faire monter de l’eau. Ils actionnaient des scieries, des tanneries, des forges et bien d’autres activités mécaniques. N’oublions pas les extraordinaires machines de construction, responsables de nos châteaux-forts et de nos cathédrales (entre autres). En effet, il ne faut pas confondre science et technique.
À partir du XVI° siècle (en gros) on a opposé science et religion, la science étant à la recherche du réel, et la religion à la recherche de rien car, comme le dit Molière : “Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris.” Les catholiques taxaient alors les scientifiques d’arrogants, un choix d’adjectif bien malheureux lorsque l’on compare ceux qui cherchent à savoir à ceux qui prétendent savoir. Certes, comme dans tous les milieux et toutes les professions, il ne serait pas trop difficile de trouver des savants arrogants, mais comparée aux affirmations péremptoires des religions, la science est un modèle d’humilité.
Les choses ont-elles changé ? C’est une question de degré. “Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien” disait Socrate. Ce que les scientifiques savent sans l’ombre d’un doute, c’est que chacune de leurs découvertes accouche d’une flopée de nouvelles questions et de nouveaux mystères à résoudre. Ils savent aussi que la science a, dans beaucoup de domaines, expliqué (en partie) comment ça marche, mais jamais pourquoi. Alors, dans ce vide gnostique, les héritiers des chamans et des papes se précipitent en criant : “Moi, je sais, je sais !”

jeudi 5 octobre 2017

Paroles



J’étais encore tout gamin, huit ans peut-être, lorsque j’ai vu pour la première fois au cinéma des Amérindiens se dandiner en grognant pour demander à leurs dieux de faire venir la pluie. Cela m’a bien fait rire.

On riait également au spectacle d’Africains qui tuaient un poulet, l’aspergeaient de farine et marmonnaient des prières en effectuant des signes cabalistiques, tout cela pour s’attirer la bonne grâce des esprits, ou pour se protéger de quelques autres.

À l’époque, j’étais ce qu’on pourrait appeler un catholique par habitude (et naturellement, influencé par le cadre dans lequel je vivais). Ce n’est que plusieurs années après cette première expérience que je me suis rendu compte de la similarité entre les simagrées amérindiennes et africaines d’une part, et les prières et sacrements de l’église catholique d’autre part. À différents degrés de sophistication, c’est la même chose. Comme les Amérindiens, les Catholiques prient pour l’arrêt de la sécheresse ou des inondations, ou pour la paix dans le monde. Cela peut être plus précis : des otages, des mineurs bloqués au fond d’une mine… la liste est longue.

Je ne nie pas les bénéfices des rites et prières, récitations ou litanies sur des croyants. On sait qu’ils génèrent de la mélatonine, et donc un sentiment de paix intérieure. Le monde médical, connaît les miracles opérés par les placebos. Il n’en reste pas moins que dans les deux cas, on joue sur des émotions, et non sur des objets, des évènements ou des phénomènes naturels.

Les paroles peuvent effectivement transformer un être humain. À force de répéter à un enfant qu’il est nul, ce dernier peut très bien le devenir. C’est l’anti-placebo, mais en aucun cas les paroles ne peuvent influencer la météo, les inondations, les éruptions volcaniques ou les raz-de-marée. La prière, ainsi que les simagrées qui l’accompagnent, ne peut en aucun cas protéger un soldat de la mort ou des blessures.

Le pouvoir supposé de la parole est une croyance tenace dans toutes les mythologies et dans beaucoup de légendes. “Au commencement était le verbe”, ce qui implique clairement que l’univers fut créé par des paroles. Dieu, bien sûr, ne s’arrête pas en si bon chemin : on nous fournit un catalogue de tout ce que crée sa parole, à commencer par “Fiat lux.” Viennent ensuite les montagnes, les animaux, etc. Les religions appartiennent au domaine de l’imaginaire et de la fiction. Seul le bouddhisme a su s’en dépêtrer, même s’il conservé des rites pour encadrer la spiritualité.

Les hommes politiques ont bien compris le système. “Le chômage baisse” nous répétait Hollande pendant que le chômage montait ; “Tout va mieux”, alors que tout allait de plus en plus mal. “L’Islam est une religion de paix et d’amour” vous diront les bobos qui n’ont jamais lu le coran (et encore moins les hadiths).

“Sésame, ouvre-toi !” lit-on dans les contes des Mille et Une Nuits. Quel cambrioleur n’a rêvé que sa voix puisse ouvrir les voûtes de banques ! Nous souhaitons bonne chance à ceux que nous aimons, et nous envoyons nos ennemis aux gémonies, mais nous n’y croyons pas. Nous savons que la réalité, sourde à nos paroles et gesticulations, continuera sa route pour le meilleur ou pour le pire sans que nous y puissions rien. Nous sommes conscients que la personne à qui nous venons de souhaiter bonne chance mourra peut-être dans les minutes qui suivent. Nous sommes également conscients que le salopard sur qui nous venons d’invoquer les pires malheurs, continuera à faire souffrir ses frères humains sans aucun état d’âme, et mourra peut-être dans son lit à 95 ans.


Cette création illusoire de la réalité par la parole n’a pas épargné nos chers bobos pour qui une femme de chambre est devenue une technicienne de surface. Ça lui fait une belle jambe ! Ce n’est pas cela qui lui vaudra une augmentation. Un vieil ami me disait récemment : “Toute ma vie j’ai été aveugle, mais maintenant je suis non-voyant. Quel soulagement !” Appeler « pays en voie de développement » un pays sous-développé ne va pas augmenter le niveau de vie de ses habitants. Quant à rebaptiser « sans papiers » un immigré clandestin, c’est le comble de l’hypocrisie.  
 

Peut-on penser que notre civilisation ait enfin compris que paroles et réalité appartiennent à des univers parallèles et que, comme les parallèles de géométrie, ces univers ne se rencontrent jamais ?