jeudi 5 octobre 2017

Paroles



J’étais encore tout gamin, huit ans peut-être, lorsque j’ai vu pour la première fois au cinéma des Amérindiens se dandiner en grognant pour demander à leurs dieux de faire venir la pluie. Cela m’a bien fait rire.

On riait également au spectacle d’Africains qui tuaient un poulet, l’aspergeaient de farine et marmonnaient des prières en effectuant des signes cabalistiques, tout cela pour s’attirer la bonne grâce des esprits, ou pour se protéger de quelques autres.

À l’époque, j’étais ce qu’on pourrait appeler un catholique par habitude (et naturellement, influencé par le cadre dans lequel je vivais). Ce n’est que plusieurs années après cette première expérience que je me suis rendu compte de la similarité entre les simagrées amérindiennes et africaines d’une part, et les prières et sacrements de l’église catholique d’autre part. À différents degrés de sophistication, c’est la même chose. Comme les Amérindiens, les Catholiques prient pour l’arrêt de la sécheresse ou des inondations, ou pour la paix dans le monde. Cela peut être plus précis : des otages, des mineurs bloqués au fond d’une mine… la liste est longue.

Je ne nie pas les bénéfices des rites et prières, récitations ou litanies sur des croyants. On sait qu’ils génèrent de la mélatonine, et donc un sentiment de paix intérieure. Le monde médical, connaît les miracles opérés par les placebos. Il n’en reste pas moins que dans les deux cas, on joue sur des émotions, et non sur des objets, des évènements ou des phénomènes naturels.

Les paroles peuvent effectivement transformer un être humain. À force de répéter à un enfant qu’il est nul, ce dernier peut très bien le devenir. C’est l’anti-placebo, mais en aucun cas les paroles ne peuvent influencer la météo, les inondations, les éruptions volcaniques ou les raz-de-marée. La prière, ainsi que les simagrées qui l’accompagnent, ne peut en aucun cas protéger un soldat de la mort ou des blessures.

Le pouvoir supposé de la parole est une croyance tenace dans toutes les mythologies et dans beaucoup de légendes. “Au commencement était le verbe”, ce qui implique clairement que l’univers fut créé par des paroles. Dieu, bien sûr, ne s’arrête pas en si bon chemin : on nous fournit un catalogue de tout ce que crée sa parole, à commencer par “Fiat lux.” Viennent ensuite les montagnes, les animaux, etc. Les religions appartiennent au domaine de l’imaginaire et de la fiction. Seul le bouddhisme a su s’en dépêtrer, même s’il conservé des rites pour encadrer la spiritualité.

Les hommes politiques ont bien compris le système. “Le chômage baisse” nous répétait Hollande pendant que le chômage montait ; “Tout va mieux”, alors que tout allait de plus en plus mal. “L’Islam est une religion de paix et d’amour” vous diront les bobos qui n’ont jamais lu le coran (et encore moins les hadiths).

“Sésame, ouvre-toi !” lit-on dans les contes des Mille et Une Nuits. Quel cambrioleur n’a rêvé que sa voix puisse ouvrir les voûtes de banques ! Nous souhaitons bonne chance à ceux que nous aimons, et nous envoyons nos ennemis aux gémonies, mais nous n’y croyons pas. Nous savons que la réalité, sourde à nos paroles et gesticulations, continuera sa route pour le meilleur ou pour le pire sans que nous y puissions rien. Nous sommes conscients que la personne à qui nous venons de souhaiter bonne chance mourra peut-être dans les minutes qui suivent. Nous sommes également conscients que le salopard sur qui nous venons d’invoquer les pires malheurs, continuera à faire souffrir ses frères humains sans aucun état d’âme, et mourra peut-être dans son lit à 95 ans.


Cette création illusoire de la réalité par la parole n’a pas épargné nos chers bobos pour qui une femme de chambre est devenue une technicienne de surface. Ça lui fait une belle jambe ! Ce n’est pas cela qui lui vaudra une augmentation. Un vieil ami me disait récemment : “Toute ma vie j’ai été aveugle, mais maintenant je suis non-voyant. Quel soulagement !” Appeler « pays en voie de développement » un pays sous-développé ne va pas augmenter le niveau de vie de ses habitants. Quant à rebaptiser « sans papiers » un immigré clandestin, c’est le comble de l’hypocrisie.  
 

Peut-on penser que notre civilisation ait enfin compris que paroles et réalité appartiennent à des univers parallèles et que, comme les parallèles de géométrie, ces univers ne se rencontrent jamais ?

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