mardi 30 juillet 2019

Survivance du patrimoine ?


“Moi, l’art français, je ne l’ai jamais vu.” Phrase maintenant célèbre, prononcée par le célèbre aveugle qui préside à nos destinées. Merci aux millions de ces autres aveugles qui l’ont élu.

N’ayant jamais vu les cathédrales, les forteresses médiévales, les châteaux de la Loire, les Riches Heures du Duc de Berry, les jardins de Lenôtre, la galerie des glaces, les pièces de Racine, les peintres impressionnistes ou les opéras de Gounod, il ne faut pas trop s’étonner qu’il n’ait jamais vu non plus les petites choses, les rites discrets et les humbles coutumes qui ont tissé les mailles de cette extraordinaire civilisation qu’on appelle la France, une civilisation qu’il déteste. Entrez, mes amis, dit-il aux ennemis de la France, venez par centaines de milliers, et comme des gamins qui, par jeu et par ignorance, casseraient du Sèvres ou du Baccarat, amusez-vous bien à tout incendier, briser et avilir. Ce sera tellement drôle ! Je m’en tiendrai les côtes !

Une petite chose ? Un rite discret ? Une humble coutume ? Un exemple (entre mille) ? La tradition du petit canard. On se sert un verre de calvados, puis on met un morceau de sucre dans une cuiller, et on la fait descendre dans le calva, mais on n’y laisse pas le sucre trop longtemps : il doit garder sa forme parallélépipédique. Ensuite, on le croque. Chaque région de France, chaque campagne de France, chaque village possède ainsi sa touche de magie, qu’elle soit culinaire, sentimentale, florale, potagère, architecturale, musicale... Va-t-on rapidement vers l’époque où tout ce qui faisait le charme de la vie quotidienne en France ne sera plus disponible que dans les livres d’Histoire ? 

lundi 29 juillet 2019

Pile ou face


On peut n’être pas d’accord avec quelqu’un, mais reconnaître ses qualités. Je pense à Ralph Nader dont les idées politiques aux États-Unis sont à l’opposé des miennes. 

En 1965, Nader a publié Unsafe at any speed, un travail qui a changé beaucoup de choses dans le monde, un peu au même titre que Silent Spring de Rachel Carson en 1962, avec une différence essentielle : grâce à Ralph Nader, les constructeurs d’automobiles sous la pression du grand public et ensuite de plusieurs sénateurs, se sont enfin préoccupés de la sécurité des conducteurs et de leurs passagers, alors que malgré les cris d’alarme de Rachel Carson, on continue à imbiber les campagnes d’insecticides, pesticides et fongicides, au point que 60% des espèces ont déjà disparu parmi les insectes, les oiseaux, les lézards et les batraciens. Ce massacre affecte également nos précieuses abeilles sans lesquelles l’espèce humaine ne pourra pas survivre non plus.

Sur l’un des autoroutes urbains de Little Rock, je suivais un camion. Nous étions à environ 80Km/h. Soudain j’ai vu une pierre de la dimension d’un poing se détacher du camion et se diriger droit sur ma voiture, exactement vers l’endroit du pare-brise derrière lequel se situait ma tête. C’est arrivé si vite que je n’ai pas eu le temps de me déjeter sur un côté. En même temps, je voyais cette pierre venir au ralenti : une contradiction flagrante entre les lois de la physique et la perception de la réalité. La pierre, qui devait peser au moins 1Kg, frappa la vitre qui s’étoila sur à peu près 50cm, mais résista. Il me restait juste assez de vision pour me permettre de ralentir et me garer sur la bande d’urgence.

Monsieur Nader, je pense que vos opinions politiques sont farfelues et même dangereuses, mais ayant suivi vos campagnes pour obliger les fabricants de voitures à améliorer les freins, les suspensions, la colonne du volant et… les pare-brise j’ai la certitude que ce jour-là, à Little-Rock, vous m’avez sauvé la vie et je vous dis : Merci !

lundi 22 juillet 2019

Un vieil ami


“C’est à Hambourg, à Santiago, à Whitechapel, à Bornéo… ” Ainsi chantait Édith Piaf. Pourquoi Whitechapel ? Ce fut pendant longtemps l’un des quartiers favoris des prostituées, un quartier pauvre et un quartier dangereux. On pense aux victimes de Jacques l’Éventreur, mais Whitechapel a connu bien d’autres épisodes sinistres, y compris des empoisonnements.

Whitechapel, c’est aussi l’endroit où, en 1852, fut construit le Royal London Hospital, la première institution non religieuse à accepter les malades et les estropiés qui ne pouvaient pas payer : le précurseur de la Sécu, en somme. 

Whitechapel, c’est enfin, pour moi, l’hôpital où j’ai bénéficié d’un quadruple pontage cardiaque en 1995. Le quartier a toujours mauvaise réputation : escrocs, recéleurs d’objets volés, pickpockets et violence. Dans le pub qui fait face à l’hôpital, on vous montre, sur le mur du fond, les trous laissés par des balles de mitraillette lors d’un règlement de compte dans les années 60.

En 1995 le Royal London Hospital présentait un contraste frappant entre l’ancien et le nouveau. Le bâtiment semblait sorti d’un roman de Charles Dickens. À l’intérieur : murs d’un gris lépreux, tuyauteries apparentes et ascenseurs antédiluviens. Par contre, tout ce qui avait trait à la médecine et à la chirurgie était à la pointe du progrès. À l’exception d’une jeune infirmière grognon et bête comme ses pieds, le personnel était sympa, dévoué et surtout capable. Jusqu’à présent, je leur dois d’avoir continué à vivre pendant 24 ans de plus.
Pourquoi en parlé-je maintenant ? Parce qu’on a fermé le Royal London Hospital. Il va être reconverti en mairie du quartier de Tower Hamlet. Franchement, j’ai eu un pincement au cœur (sans jeu de mots).