lundi 26 septembre 2016

Lotterie



Confidences d’une amie qui m’a donné la permission de mentionner l’incident. Nous l’appellerons Émilie.

“Je me tenais à l’entrée d’un studio de danse où j’avais amené ma fille, âgée de huit ans. Nous étions en avance. Un petit groupe de parents et de gamins attendaient patiemment l’ouverture des portes.
Je remarquai, de l’autre côté de la rue, un énorme chien jaune à poil ras qui, pattes en l’air, gigotais voluptueusement sur une pelouse. Je murmurai, sans m’adresser à qui que ce soit en particulier : Je me demande dans quoi il se roule.
J’aimerais autant ne pas le savoir répondit une voix d’homme derrière moi.
Je me retournai. Nos regards s’accrochèrent. Nous ne parvenions plus à nous en libérer. Une pensée incongrue me traversa l’esprit : au loto, il y a un billet gagnant sur 14 millions. En termes de rencontres, j’avais ce billet devant moi.
J’aime mon mari, mais soudain je me rendis compte que j’avais épousé un copain, un bon copain, séduisant, intelligent, sympathique, mais un copain malgré tout. L’homme que je regardais avidement, c’était le billet gagnant sur 14 millions. Je ressentais illogiquement qu’il pensait la même chose. On a souvent dit qu’au moment de la mort, on voit toute sa vie défiler devant ses yeux. Je voyais défiler la vie que j’aurais pu avoir.
Les portes du studio s’ouvrirent bruyamment. Le charme était rompu. La petite troupe avançait. Avec une lourde tristesse, je retombai dans la vie normale.”

lundi 19 septembre 2016

Politique américaine et media français




Il est toujours difficile d’informer correctement. C’est un peu comme une dissertation de philosophie : il faut commencer par bien définir et préciser le sens de chaque terme, faute de quoi s’installe un dialogue de sourds. C’est en partie ce qui se passe en ce moment avec les élections américaines.

On a souvent du mal, en France, à se rendre compte que l’électorat américain réagit essentiellement au cas-par-cas. Les media français, obnubilés par la dichotomie gauche/droite, simplifient à outrance et voudraient nous faire croire que Démocrate = Gauche, et Républicain = Droite.



Ce n’est pas si simple.



Il faut d’abord se rendre compte qu’à l’exception des fidèles de Bernie Sanders, il n’y a pas de gauche aux États-Unis, tout au moins au niveau gouvernemental, qu’il soit local ou fédéral. Si les Démocrates (soi-disant de Gauche) gouvernaient la France, le reste de l’Europe nous considérerait comme une nation franchement à Droite.



Voici quelques idées reçues :



-      Les Républicains veulent toujours augmenter la puissance des forces armées. C’est  vrai, en gros, mais qui a dit que ce serait une folie ?

Dwight Eisenhower, Républicain.



-      Les excès des Démocrates sont toujours déclenchés par la stupidité des Républicains. Qui a dit cela ? William Buckley, le journaliste de presse écrite et télévisée le plus influent des années 70 et 80. Il était Républicain.





-      Les Démocrates sont plus près des Noirs que les Républicains. En fait, jusqu’aux années soixante, les Démocrates appliquaient un système selon lequel les employés des grandes fermes et des plantations (en majorité noirs) devaient signer un pouvoir donnant leur vote à leur patron. Qui a abrogé cette loi inique et nommé des Noirs à des postes gouvernementaux importants ?

Winthrop Rockefeller, Républicain.



-      Les Républicains sont contre les pauvres et les ouvriers.

Qui a dit : “Ce n’est pas la peine de fabriquer des voitures si ceux qui les fabriquent ne peuvent pas s’en payer une” ? Henry Ford. Plus républicain que lui, tu meurs.



-      Qui avait le plus à cœur de réduire la pauvreté avec son projet d’Impôt Négatif ?

Richard Nixon, Républicain.

Qui a dit qu'il était indécent de demander à un ouvrier de payer ses impôts pendant que les multinationales arrivaient à les éviter ? Donald Trump, Républicain.



-      Les démocrates sont, paraît-il, de mauvais gestionnaires. Qui a effacé la dette des États-Unis et remis la balance du commerce extérieur en excédent ? Bill Clinton, Démocrate.

(Ça n’a pas duré : sous George W. Bush, la dette est réapparue et a maintenant atteint des dimensions astronomiques)



-      Qui commence des guerres absurdes ? Là on les renvoie dos à dos : Démocrates pour la guerre du Vietnam, Républicains pour celles du Golf et d’Irak. 

Certes, il existe des noyaux durs d'enthousiastes dans les deux partis politiques. Ils se démènent, distribuent des feuilles volantes, organisent des réunions et contribuent financièrement à la campagne présidentielle de leur choix. Et, à propos de financement, un développement récent me semble assez inquiétant : l'appui de l'Arabie Saoudite et du Qatar à Hillary Clinton. Cette ingérence d'une puissance étrangère dans les élections américaines est une première.


Ne nous étonnons pas, dès lors, si beaucoup d’Américains votent Démocrate ou Républicain selon les besoins et les circonstances du moment, beaucoup plus que selon des lignes partisanes.




lundi 5 septembre 2016

Morts de trouille

Réponse à une journaliste qui écrivait que, vu le nombre d'armes à feu aux États-Unis, et le nombre de victimes qui en résulte, les Américains sont morts de trouille :



Chère Madame,

Vous connaissez bien mal les États-Unis. Vous écrivez dans un journal de droite, mais vous avez gobé pas mal de clichés anti-américains distillés patiemment (et souvent avec talent) par les media de gauche, c’est-à-dire les média tout court.
Que diriez-vous d’un journaliste qui décrirait la France comme une vaste Seine-Saint-Denis ? Les mégapoles seront toujours plus dangereuses que le reste du pays, quel qu’il soit. Or, New York n’est pas plus dangereux que Paris (de nos jours, ce serait plutôt le contraire), et c’est précisément dans les mégapoles que les gens ont le moins d’armes à feu. On y est prudent, comme vous l’êtes certainement vous-même dans le métro parisien, mais on n'y est certainement pas mort de trouille. S’il en était ainsi à New York, adieu les concerts, les boîtes de nuit, les comédies musicales de Broadway, les théâtres et les restaurants.

Dès que l’on sort des grandes agglomérations, on change aussi de monde. Comme on ne parle bien que de ce que l’on connaît bien, je vais prendre comme exemple Arkadelphia, une ville de 35000 habitants à 2h de route de Little Rock. Allez-y : ce n’est pas une exception. Vous y verrez des voitures avec les clefs sur le tableau de bord pendant que leur propriétaire fait ses courses dans un supermarché, et des pick-ups avec de l’outillage valant des centaines de dollars laissés sur les ridelles. Le père de mon beau-fils a acheté l’une de ces énormes tondeuses à gazon qui ressemble à un petit tracteur. Il la laisse, en ville, devant chez lui. Elle y est depuis cinq ans. 

Dans les hameaux de la région, on croirait parfois être revenu aux années 50 en France, avec l’unique magasin du village qui vend de tout, le facteur qui s’arrête pour prendre des nouvelles de la vieille Mme Unetelle s’il sait qu’elle est malade, et les dimanches où 80% de la population se retrouve avec plaisir à l’église.

Lors d’une entrevue télévisée, Meryl Streep, mentionnant le fait qu’elle avait déménagé du Connecticut à New York, précisait qu’elle avait eu un mal de chien à convaincre ses enfants de fermer à clef la porte d’entrée, qu’ils soient dans la maison, ou qu’ils en sortent.

Non, chère madame, ce n’est pas le paradis, loin de là (mais je vois venir vos sarcasmes) et les armes à feu sont trop facilement disponibles. Personne ne vous contredira là-dessus. Mais n'oublions pas que, pour garder leur territoire de vente de drogue, les gangs de jeunes noirs et Portoricains se canardent gaillardement tous les soirs dans certaines banlieues, et gonflent ainsi les statistiques. Cela n'affecte pas le reste de la population. 

Alors, de grâce, arrêtez avec ce « morts de trouille ». La télévision et les films ne sont (heureusement) qu’un reflet exagéré d’une certaine réalité, mais comme le disait François Mauriac, « Quand tout va bien, il n’y a rien à raconter ».

J’ai vécu 10 ans aux États-Unis. J’y retourne tous les deux ans. Je m’y sens bien, et personne ne m’y a jamais menacé.
C’est un pays qui a d’énormes problèmes, mais pouvez-vous me citer un seul pays qui n’en a pas ? En tous cas, pour l’Amérique, « morts de trouille » ne fait absolument pas partie de la liste.