vendredi 29 avril 2016

Condamnations



En littérature, l'indignation ne s'attaque qu'au talent. A la parution de Madame Bovary, Gustave Flaubert fut traîné en justice, accusé de pornographie, et le roman lui-même fut mis dans la plus ridicule des listes : l'Index de l'église catholique. Je dis ridicule car elle orientait les adolescents vers des lectures, en général fort anodines, que ces derniers trouvaient, la plupart du temps, assez décevantes.
En 1865 les gares regorgeaient de petits romans égrillards où il n'était question que de bonniches retroussées, de femmes infidèles, de parties de jambes en l'air et de rendez-vous sulfureux. Curieusement, aucun de ces ouvrages n'a jamais été jugé digne d'être mis à l'Index. C'est que le talent n'y était pas.
Sur quoi s'est-on basé pour accuser Flaubert ? D'abord sur l'intrigue. Une femme mariée qui a des amants. Pensez donc ! Quelle horreur ! Ça ne s'était jamais vu ! On a ensuite reproché à Flaubert de n'avoir pas condamné le comportement d'Emma. Enfin, on s'est attaqué à deux passages bien précis :
Le premier concerne les rencontres entre Emma et Rodolphe dans le pavillon, au fond du jardin. Flaubert nous dit que l'on entendait le vent gémissant dans les roseaux. Nous sommes à l'époque où s'épanouit la poésie symboliste. Les lecteurs ne s'y sont pas trompés : c'étaient les gémissements d'Emma.
Le deuxième, moins poétique, concerne la course en fiacre. Les réactions du cocher indiquent clairement que, à l'intérieur du fiacre, Emma est en train de tailler une pipe à Léon. C'est fait avec humour, sans mots crus, sans vulgarité.
Petite question : comment les bons évêques qui ont mis le roman à l'Index savaient-ils tout cela ?
Plus récemment, c'est à dire il y a une bonne soixantaine d'années, la presse catholique s'est déchaînée contre le premier roman de Françoise Sagan : Bonjour Tristesse, lui assurant, du coup, un succès sans précédent. Le passage le plus pornographique ? La jeune héroïne, assise sur la plage, essaie d'allumer une cigarette mais ses doigts tremblent en pensant aux moments qu'elle vient de vivre : sa première après-midi avec son premier amant.
Que trouvait-on dans les gares à la fin des années 50 ? Des histoires de parties carrées. Pour le reste, les voitures avaient remplacé les fiacres....

jeudi 28 avril 2016

Auberge espagnole



Pour reprendre un dicton un peu usé : « Chacun voit midi à sa porte ». Autrement dit, le lecteur recrée dans sa tête le roman qu'il lit. Mieux encore, il le réécrit à la lumière – ou à l'obscurité – de ses propres obsessions. Comme dans une sorte d'auberge espagnole virtuelle, il y voit surtout ce qu'il y apporte. C'est pourquoi Paul Valéry disait des écrivains : « Ils avancent dans la vie à reculons » c'est à dire sans avoir la moindre idée des réactions que leurs œuvres déclencheront parmi les lecteurs.

Au début des années 80, je me souviens d'avoir parlé avec une collègue d'une de mes nouvelles  qui se passait au Maroc. Or, cette collègue était Marocaine, et elle disait : « J'ai adoré les descriptions du Maroc : c'est tellement vrai ! ». J'ai relu la nouvelle. On y parle d'une villa sous la lune et – détail certes typique des montages du Maroc – des singes qui lancent des pierres aux passants. A part cela, l'histoire pourrait se passer n'importe où, mais pour ma collègue, cela ouvrait les vannes de son mal du pays.

L'un des livres qui ont enchanté mon enfance, c'est Le Général Dourakine de la Comtesse de Ségur. Je garde une impression magique des grands paysages russes dormant sous la neige mais je ne veux pas le relire car je sais que la chère comtesse n'était guère portée aux descriptions et que c'est mon imagination enfantine qui les a intercalées dans le récit.

Je tombe, par hasard, sur une analyse de L’Amant de Lady Chatterly. La chroniqueuse y voit une splendide illustration de la lutte des classes.
Pendant mes années d'adolescence, je suis, comme tant d’autres, tombé dans le piège de vouloir lire ce roman, et j'ai été déçu. Je n'y ai vu, cependant, aucune lutte des classes, simplement la découverte d'un personnage par un autre. La situation aurait très bien pu être inversée. L'épouse d'un garde-chasse, frustrée par les insuffisances de son mari aurait été sexuellement libérée par le châtelain du coin.

mercredi 27 avril 2016

Lavage de cerveau



J'avais recommandé à une amie l’un de mes romans. Elle l’a lu. Réponse de sa part : « L'intrigue est intéressante mais les détails sexuels détruisent le rêve qui se trouve en nous tous ». Ce "nous TOUS" est particulièrement révélateur. Elle s'imagine sincèrement être dans les normes.
Autrement dit, le lavage de cerveau anti-sexe que cette femme a certainement subi dans son enfance l'empêche d'apprécier le roman. Elle n'en a retenu que l'intrigue, plus quelques passages bien précis. Le style ? La psychologie ? Les descriptions ? La façon dont l'auteur fait vivre et vibrer le lecteur ? Le sens de la nature ? La sensibilité poétique ? Tout cela disparaît devant quelques évocations sensuelles.
Nous savons ce qu'est un obsédé sexuel. Il existe aussi, malheureusement, des obsédés sexuels à rebours.