jeudi 22 décembre 2016

Bonne année !



Une très bonne année à tout le monde : elle commence aujourd'hui. On peut l’appeler 2017 si on veut. La Terre se trouve à son périhélie, car dans l’hémisphère Nord, nous sommes plus près du soleil en hiver qu’en été. C’est le début d’une nouvelle année astronomique. En ce qui concerne les célébrations, nos ancêtres se sont donc trompés de 3 jours pour Noël et de 9 jours pour le « premier » de l’an. On leur pardonne volontiers, mais on peut aussi se permettre une pensée émue pour ce petit roc qui entame quelque chose comme son trois milliardième (et quelques) périple autour de notre étoile.
Souhaitons-lui (et par la même occasion, souhaitons-nous) une bonne année.

mercredi 21 décembre 2016

Bonne bouffe, malbouffe





À juste raison, les problèmes de malbouffe nous concernent tous. En France, nous éprouvons vis-à-vis des autres nations, un sentiment de supériorité culinaire qui n’est pas totalement injustifié, supériorité particulièrement évidente par rapport aux pays anglophones.
 
Pour ce qui est de l’Angleterre, j’ai ma petite idée là-dessus, et je ne détesterais pas d’en discuter avec des sociologues et des historiens. J’ai souvent lu dans des livres d’Histoire que les cuisiniers de la noblesse française, désœuvrés après la révolution, avaient fréquemment fondé de petits ou grands restaurants qui leur permettaient d’exercer leur talent. Les familles, bourgeoises pour commencer, puis les autres, ont suivi le mouvement.
Les fermes de l’Ancien Régime s’étendaient sur des milliers d’hectares (ou de vergers, comme on disait à l’époque). Les manants n’avaient pas le droit de chasser, pas même le lapin ou le faisan. Dans certaines provinces, seul le seigneur du lieu avait également le droit de posséder un pigeonnier. L’alimentation, des classes populaires, qui pouvait certes être délicieuse au hasard des coutumes et des régions, n’en demeurait pas moins monotone. Si l’on ajoute la pauvreté dans laquelle elles étaient trop souvent maintenues, le tableau d’ensemble n’est guère attrayant.
L’Angleterre a connu des révolutions politiques et religieuses, ainsi que des révoltes, style jacqueries, vite réprimées, mais elle n’a jamais connu de révolution de société. Résultat : les propriétés terriennes (comme en France avant la révolution) s’étendent toujours sur des milliers d’hectare. Les fermes sont gérées comme de grandes entreprises, et le personnel travaille dans des conditions plus proches de celles des ouvriers d’usine que de celles des garçons de ferme. La gastronomie ? Elle était réservée à la noblesse, et jusqu’à un certain point, elle l’est encore.
Les progrès culinaires de l’Angleterre ont été immenses ces dernières décennies, mais n’allez pas demander à une famille anglaise ordinaire de préparer une langue de bœuf, des foies de volaille ou des rognons de veau. En 1974 j’ai voulu acheter du persil chez le marchand de légumes : il ne savait pas ce que c’était. Quant aux échalotes, elles n’étaient connues que des jardiniers. Qu’en faisaient-ils ? Mystère !
Le pain, en grosses miches rectangulaires blanches et un peu sucrées n’était que marginalement meilleur que du coton hydrophile. L’ignorance des vins était abyssale, et il n’y avait que deux fromages : le cheddar et le stilton. Pourtant dès cette époque, en encore maintenant, on trouvait ici et là des bouchers dit « de clubs », c’est-à-dire qui fournissent les cuisines du club de golf, du club nautique, du club hippique, des clubs de partis politiques : une deuxième forme de noblesse, pour ainsi dire. Là, vous trouverez à la fois qualité et variété, allant d’un poulet de Bresse à du ris de veau ou de la cervelle d’agneau.
Cette approche limitée envers la bonne cuisine s’est naturellement transmise aux États-Unis. Là aussi on peut dire que l’agriculture en tant qu’agriculture n’existe guère : la petite maison dans la prairie, c’est un vœu pieux. La ferme est vite devenue industrielle. Le petit paysan ayant disparu, il n’est pas question de « tuer le cochon » par exemple.
C’est là, pourtant, que nous observons une révolution à la fois silencieuse et puissante. Menée sur plusieurs fronts :

-      1. L’écologie et sa grande prêtresse Rachel Carson dont le livre Silent Spring a marqué à jamais les esprits. Contrairement aux écologues français, Rachel Carson n’est jamais tombée dans le ridicule et l’opportunisme de gauche. Les Européens qui se battent avec raison contre Monsanto et compagnie, ne se rendent pas compte à quel point ils ont de puissants alliés outre-Atlantique.

-      2. L’immigration travailleuse, c’est-à-dire, jusqu’aux année 70, celle qui venait en Amérique pour y trouver une vie meilleure, et non pour ponctionner le système.
Contrairement aux Anglais, dont la contribution culinaire, était minime, les autres nations immigrantes ont débarqué avec un riche héritage en ce domaine : Italiens, Juifs, Hongrois, Mexicains, et bien d’autres, sans oublier l’apport des habitants d’origine, les Amérindiens. Et les Français, dans tout cela ?

-      3. Ils font partie d’un autre aspect de la révolution culinaire américaine. Cette société, soi-disant égalitariste, s’est rapidement reconstitué une sorte de noblesse : c’est la nature humaine. Ces nouveaux nobles (à commencer par ceux de la Maison Blanche) ont employé des chefs français. Les restaurants français, presque toujours « exclusifs » et très chers, ont suivi l’exemple, débutant par le Nord-Est du pays, puis s’implantant sur la côte Est et enfin la côte Ouest. Il existe d’heureuses exceptions : mon restaurant français préféré à New York est le Château Henri IV : cadre magnifique mais pas prétentieux, cuisine excellente et prix abordables. J’éprouve aussi de la nostalgie pour une boulangerie-pâtisserie qui malheureusement n’existe plus, et qui s’appelait La Calorie

-      4. Le dernier aspect de la révolution culinaire des États-Unis ne vient ni du haut de l’échelle sociale, ni de l’étranger : elle vient de la pression populaire, et comme chez nous, d’un refus de la malbouffe, ou tout au moins de la bonne bouffe monotone. Des restaurants comme I-HOP sont excellents, mais le menu est limité ; et surtout d’un bout à l’autre du pays c’est toujours exactement le même menu dans des centaines d’établissements standardisés.

Les trouble-fêtes sont de plus en plus nombreux, mais il en a deux qui se détachent nettement :

a)    The Hairy Bikers. Traduction : les motards hirsutes ; deux anglais en quête d’un monde gastronomique meilleur. Simon King possède un diplôme universitaire en Histoire de l’art, avec spécialisation dans les œuvres en tempéra. Dave Myers a appris la cuisine avec de prestigieux chefs français. Ils recherchent la bonne bouffe et la trouvent dans des endroits insolites, inattendus et surtout qui ne paient pas de mine. Ils exploitent les traditions locales.
b)   Diners, drive-ins and dives, est une émission de télé similaire avec  Guy Fieri qui (comme Julie sur France 3) préfère pour ses déplacements le confort d’une voiture décapotable. Le but est le même : montrer que de vraies merveilles culinaires peuvent se nicher dans des villages perdus, de petits ports de pêche ou même au cœur d’une grande ville. L’important, c’est de ne pas se laisser décourager par des tables et bancs en bois, nappes à carreaux, verres et assiettes tout ce qu’il y a de plus ordinaires, sans parler du va-et-vient, parfois bruyant, des autochtones.

Dans la foulée un nouveau type de petite maison dans la prairie est en train de faire son apparition, surtout aux abords des villes : maraîchers bio, éleveurs de canards ou de lapins…

Vive la révolution ! (du moins, celle-là !)







  


vendredi 2 décembre 2016

Liens

Toutes les formes de vie ont des gènes en commun. Nous partageons un bon pourcentage de gènes avec un brin d’herbe… C’est peut-être pour cela que dans l’hindouisme on dit qu’il n’y a qu’une seule âme, et que les dieux hindous n’en sont que les diverses manifestations : une sorte de polythéisme qui n’en serait pas vraiment un. Les religions étant les manifestations et créations de rêves humains, il n’est donc pas étonnant qu’il y ait à l’intérieur de cette grande âme, des dieux maléfiques, exactement comme, en chacun de nous, il est possible de détecter le meilleur et le pire. Une exception de taille : l’islam. Pour un musulman, il n’y a pas de dichotomie interne. Le bien, c’est lui ; le mal, c’est nous. Le succès de cette doctrine ne s’est pas fait attendre. Qui n’a pas rêvé d’avoir toujours raison et de gouverner le monde ?
En Égypte, et cela bien avant Akhenaton, il était admis qu’il n’y avait vraiment qu’un seul dieu : c’était le Nil, devenu une sorte de « dieu le père » de tous les autres. Pour les Égyptiens, il fallait ajouter une descendance divine à partir du soleil et des étoiles, en particulier Orion. Là aussi, le Bien et le Mal cohabitaient. C’est un trait universel : Seti Vs Maat, Kali Vs Shiva, Caïn Vs Abel, Lucifer Vs Jesus...
Le sentiment voulant que tout soit lié, non seulement le bien et le mal, mais chaque aspect de la vie avec tous les autres, est partagé par le monde scientifique. Il concerne non seulement la vie sur la terre entière, mais la vie telle qu’elle a existé par le passé.

Voici, par ordre chronologique, trois exemples de liens inconscients avec le passé :

Il y a 540 millions d’années (à quelques jours près) sont apparus dans les océans des êtres vivants sexués et mobiles protégés par une carapace ; autrement dit, des crustacés. Difficile de s’accoupler dans ces conditions. Comment faisaient-ils ? Ils se tenaient par la main. Le sperme du mâle passait du centre de la palette de sa patte vers le centre de la palette de la femelle. C’est encore le cas pour les langoustines. La patte du mâle étant plus grosse que celle de la femelle, on pourrait très bien aller chez son poissonnier et lui demander 12 langoustines mâles. On verrait s’il a le sens de l’humour.
Nous partageons beaucoup plus de gènes avec les langoustines qu’avec un brin d’herbe. Voilà donc 540 millions d’années qu’une partie enfouie très profondément dans notre cerveau nous incite à prendre par la main la personne que nous aimons. Bien sûr, quand nous prenons un enfant par la main, il y aune dimension affective, mais il n’y a aucune dimension sexuelle. Entre amoureux cependant, le symbole reste fort, comme l’attestent les scintigraphies du cerveau ou même un simple électroencéphalogramme ; comme l’atteste également la répugnance générale des hommes à prendre un autre homme par la main. Prendre par la main n’est pas la même chose que serrer la main, geste qui est devenu conventionnel et poli au cours des âges. On serrera la main tendue d’un homme politique sans avoir le moins du monde envie de le prendre par la main pour aller faire un tour avec lui sur un chemin de campagne ou sur une plage.

Mon deuxième exemple remonte à environ 140 millions d’années et l’apparition des premiers mammifères. Nous transpirons sur tout le corps. Les mammifères à fourrure ne connaissent pas ce luxe. (Il y a des exceptions, comme chez les ongulés.) Les mammifères à fourrure transpirent par les coussins des pattes pour les quadrupèdes, puis par les paumes des mains et des pieds chez les ancêtres communs des singes et des hominidés. C’est pourquoi, de nos jours encore, on peut voir des marques de pattes de chat en été sur un carrelage frais. Les canidés transpirent également par la langue. Le fait que les hominidés transpirent sur tout le corps, ne les empêche pas de transpirer plus intensément en certains endroits : aisselles, aine, paume des mains et plante des pieds. En général, nous sommes peu conscients de la transpiration des paumes, car elles sont la plupart du temps à l’air libre où l’évaporation est quasi instantanée, ce qui empêche la prolifération des bactéries, elles-mêmes génératrices des mauvaises odeurs. Il n’en va pas de même pour la plante des pieds. On sait également que certaines personnes suent beaucoup des mains, et que ça les gêne en société. Amis chiens et chats, rejoignez-nous : nos gènes sont les mêmes à 80 %. Si seulement ce genre de réflexion pouvait encourager davantage d’êtres humains à ne plus faire montre de cruauté envers des êtres dont nous sommes génétiquement si proches !

Mon troisième exemple est beaucoup plus récent.

Les hominidés des deux ou trois millions d’années qui nous précèdent, mais aussi, et encore de nos jours, les Bantous, les Aborigènes, et toutes les ethnies qui ne peuvent pas faire autrement, nourrissent les bébés dès leur sevrage en mâchant la nourriture solide, et en la transmettant de bouche à bouche. Le symbole est très fort : je t’embrasse sur la bouche signifie : je te donne de la vie, tu me donnes de la vie. Là encore, l’électroencéphalogramme explose, montrant s’il en était encore besoin, que l’acte d’embrasser sur la bouche nous remue profondément.

500 millions d’années est un laps de temps qui nous semble immense, mais pour nos gènes, c’est tout à fait raisonnable. Au tréfonds de nous-mêmes, nous sommes, génétiquement et linéairement des entités presque indestructibles.