mardi 22 mars 2016

Livre électronique



Le livre électronique détruira-t-il le livre tout court ?
Mes étagères croulent sous les livres. Or, une fois qu’on a lu un livre, combien de fois le relit-on ? Le livre électronique résout ce problème. On parle de trois mille ouvrages logeables dans une tablette de taille A-5.
On a dit qu’au bout d’un certain temps le livre électronique tuerait le livre en version papier. Cela ne s’est pas produit : les deux formats vivent en bonne intelligence. D’ailleurs, dans les années 50, on disait que la télévision tuerait le cinéma. Certes, le cinéma a changé, mais il n’a pas été tué. Je signale aussi, à tout hasard, la renaissance des disques vinyle. Je suis donc un chaud partisan de la naissance, puis de la croissance du livre électronique.
Que dire, alors, pour la défense du livre en papier ?
Tout d’abord, ce livre, pour encombrant qu’il soit, devient une sauvegarde des contenus électroniques alors que pendant longtemps ce fut le contraire.
Il n’a pas besoin de source d’énergie. Cela rejoint l’histoire du petit garçon qui se précipite vers ses parents en disant : « Grand-père a un rasoir tellement moderne qu’il n’a même pas besoin d’électricité ! »
Les bibliothèques, qu’elles soient municipales ou nationales, gardent des ouvrages peu ou jamais lus mais qui peuvent se révéler utiles un jour. Pour un historien, par exemple.
Je vous soumets un extrait du roman Chassé-Croisé (épuisé) :
Mes pièces préférées, après ma chambre, sont la bibliothèque et la cuisine. La bibliothèque est tellement lumineuse que, même par temps sombre, elle semble éclairée de l’intérieur. Malgré l’habitude que j’en ai, je ferme encore les yeux pendant quelques secondes lorsque j’y pénètre, droguée par son subtil mélange de vieux livres et d’encaustique. Dans le silence qui baigne tout le bâtiment, la bibliothèque semble encore plus silencieuse. Enfant, j’y passais des heures, et depuis peu, j’en ai repris l’habitude. J’éprouve un plaisir sensuel à laisser mes doigts glisser sur les dorures des tranches, puis à lire lentement, à haute voix, les titres au charme désuet : La Bataille de Rocroi, Meditations sur les Mystères de la Vierge Marie, Le trictrac expliqué aux débutants, La ronde des Saisons, Conseils aux jardiniers.
Qui, par exemple, a jamais entendu parler de François de Scépeaux, Sire de Vieilleville, Comte de Duretal et Maréchal de France ? Pas moi, en tous cas. J’ouvre ses Mémoires, tome trois. Imprimé en 1557. Les « s » sont écrits comme des « f ». Je parcours quelques phrases puis je me laisse prendre au charme du récit. Je souris à la façon dont le maréchal a intercepté les colonnes de vivres qui approvisionnaient les Espagnols puis a distribué la nourriture à ses propres troupes.
Je n’oublie pas la présence de tous les classiques, français et étrangers en éditions de luxe, classiques qui me dispensèrent de jamais devoir emprunter un ouvrage à la bibliothèque du collège lycée Notre-Dame de Toutes Aides de Nantes où je fus pensionnaire de la sixième à la terminale. Il faut ajouter la collection des Almanachs Vermot et des Etoiles Noëlistes.
         Le coin qui m’enchantait le plus dans ma jeunesse, était celui des prix. Mes parents, mes grands-parents, mes oncles et tantes avaient tous reçu de magnifiques volumes en fin d'année scolaire, en général le dernier dimanche de juin. Ça ne se fait plus. Donner des prix aux premiers de la classe traumatise les autres élèves selon les psychologues à la noix de la pensée unique. Quelle cérémonie, pourtant ! Messe solennelle, distribution des prix, repas non moins solennel et vêpres avant que nos parent puissent nous ramener à la maison pour les grandes vacances.
 Il me semblait, en feuilletant ces magnifiques volumes, entendre la voix de la directrice. “A Léonie d’Orrieuse, premier prix d’anglais : The Prince and the Pauper de Mark Twain. A Andréa de Malmont (du côté de ma mère), premier prix d’anglais (encore ?) : Ivanhoe de Walter Scott.” Il y avait des vies de Jeanne d’Arc, des Vingt-mille lieues sous les Mers, des Tours du Monde en quatre-vingt Jours et des récits d’explorateurs. Ces ouvrages étaient invariablement gigantesques, imposant et lourds. Superbement illustrés aussi en gravures sur cuivre. On y voyait des armures médiévales, des monstres marins et des jeunes filles éplorées levant les yeux au ciel. « J’attire » comme on dit par ici, c’est à dire je prends sur l’étagère une édition hors de prix du Général Dourakine (Jeanne-Eléonore d’Orrieuse, premier prix de français 1911) ou encore Don Quichote illustré par Gustave Doré et je reviens quarante ans en arrière. Je m’enchante au lisse contact d’un papier qui n’a pas vieilli et je m’enivre de sa légère odeur de savon.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire