lundi 14 mars 2016

Invraisemblable !



Histoire trois fois invraisemblable.
On pourrait également intituler ce récit : La Réalité dépasse la Fiction.
Mon ami Jacek vient de mourir. Voici son histoire.
En 1944 Jacek avait huit ans. Son père enseignait la philosophie à Gdansk. Il n’était pas juif, mais on sait bien qu’à l'époque, il n’était pas nécessaire d’être juif pour déplaire aux Nazis. Une remarque imprudente de la part du professeur, une dénonciation, et voilà le père et le fils traînés vers un camion. Destination : les camps de concentration.
Sachant ce qui l’attendait, le professeur, passant le long du port, courut se précipiter dans la mer. Les soldats lui envoyèrent bien quelques balles qui le manquèrent, puis ils haussèrent les épaules. L’eau glacée de la Mer du Nord aurait bientôt raison de l’imprudent, pensèrent-ils.
Le professeur, excellent nageur, s’éloigna du quai le plus rapidement possible. Lui non plus ne se faisait aucune illusion. Ne pouvant revenir en arrière, il continua instinctivement à nager vers le large, s’attendant, d’une minute à l’autre, à mourir victime d’une crampe ou d’une crise cardiaque. Il était lui-même fort surpris de la distance qu’il avait réussi à parcourir. Finalement, ce qui devait arriver arriva : l’hypothermie commença à avoir raison de sa résistance physique.
Premier épisode invraisemblable : Au moment où ses forces allaient le trahir, le professeur buta contre un gros objet métallique. C’était un sous-marin anglais espionnant les côtes polonaises. Les marins recueillirent ce nageur inattendu.
Le petit Jacek fut conduit au camp de Sztutowo (en allemand : Stutthoff). Là, on le mit au niveau le plus élevé de ces plates-formes en bois sur lesquelles les prisonniers étaient entassés. On logeait les enfants le plus haut possible car tout le monde souffrait de dysenterie et la merde liquide dégoulinait d’une plate-forme sur l’autre, les moins bien lotis étant, naturellement, ceux des niveaux inférieurs : en général des personnes incapables de grimper sur les « lits » trop élevés.
Le désavantage du niveau supérieur, c’était sa proximité avec le toit, un toit en mauvais état. La neige, la pluie et le vent entraient librement. Beaucoup d'enfants mouraient au bout de quelques jours : froid, bronchites et pleurésie.
Deuxième épisode invraisemblable : La première nuit, Jacek, à sa grande frayeur, vit s’obscurcir l’espace entre deux lattes du toit. C’était un énorme chat jaune qui descendit puis vint se lover sur sa poitrine. On grandit vite dans des circonstances exceptionnelles. Jacek, malgré son jeune âge, sentait confusément que s’il signalait la présence du chat aux autres prisonniers, ces hommes mourant de faim l’auraient tué pour le manger tout cru. Il ne dit rien. Nuit après nuit, le chat revint lui maintenir la poitrine au chaud. Jacek n’attrapa ni bronchite ni pleurésie. Il fut libéré par l’armée Rouge et réussit à échapper à ses « libérateurs » alors que beaucoup d’autres prisonniers étaient simplement transférés dans un second univers de l’horreur : les goulags.
Errant pendant des jours, mangeant dans les poubelles, Jacek marcha vers l’Ouest. Mourant de faim et de fatigue, il finit par prendre contact avec des soldats anglais. On parlait anglais et français dans la famille de Jacek. Le professeur avait institué un rota : un jour on parlait polonais, le lendemain anglais et le surlendemain français. Puis on recommençait. Mentant effrontément, Jacek expliqua que son père s’était réfugié en Angleterre au début de la guerre. Une semaine plus tard, il était hébergé dans un orphelinat de Southampton.
Troisième épisode invraisemblable : Alors qu’on avait emmené les orphelins en promenade dans un parc, Jacek vit son père assis sur un banc. En plus du bonheur incrédule éprouvé par Jacek et son père, ces retrouvailles firent aussi le bonheur de la presse locale.
Si l’on adaptait cette histoire pour en faire un roman, les éditeurs refuseraient le manuscrit, le déclarant par trop invraisemblable. Même Stephen Spielberg hésiterait à en faire un flm.
Toute sa vie, Jacek insista pour avoir chez lui un gros chat jaune.

1 commentaire:

  1. Très belle histoire Donatien où , comme tu l'écris si bien , la réalité dépasse la fiction , véritable conte de fée narguant l'horreur de l'Histoire.
    Renéa

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