mercredi 16 mars 2016

"Le Style, c'est l'Homme."



Emma se sentit, en entrant, enveloppée par un air chaud, mélange du parfum des fleurs et du beau linge, du fumet des viandes et de l’odeur des truffes.
Ainsi commence, dans Madame Bovary le célèbre épisode du bal.
Essayons la modification suivante :
En entrant, Emma se sentit enveloppée etc…
On a l’impression que l’action s’est accélérée. L’effet produit sur le lecteur est beaucoup plus neutre : on raconte ce qui se passe, rien de plus.
Alors, en quoi la première version est-elle meilleure ?
Tout d’abord ce en entrant entouré de virgules, ralentit la lecture. Emma n’entre pas dans la salle à manger du château comme elle serait entrée dans sa propre maison. Là, elle est intimidée : elle hésite. Nous aussi. Ensuite, nous avons une répétition du son « en ». Flaubert était trop sensible à la musique des phrases pour ne pas l’avoir fait exprès. Emma se sentit, en entrant, enveloppée… La lourde sonorité des ces « en » à répétition trahit le sentiment d’angoisse ressentit par Emma au moment où elle passe du monde de la petite bourgeoisie à celui de la noblesse.
Cela s’appelle la magie du style. Tout Madame Bovary est ainsi.
Depuis quelques décennies la plupart des lecteurs ne sont plus sensibles au style. Il y a tout en éventail de raisons à cela : explosion de l’audio-visuel, méthode globale, chahut dans les collèges, profs qui sont soit dénués d’enthousiasme pour leur sujet, soit découragés par le presque illettrisme de leurs élèves, soit encore indifférents eux-mêmes à la beauté du texte. Lira-t-on encore Flaubert dans cinquante ans ? Il y a déjà des profs qui le trouvent barbant…

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