lundi 4 janvier 2016

Eautontimoroumenos



Si Joanne haïssait les hommes, Priscilla, une jeune prof, les aimait. Elle « couchait » comme on dit dans les villages. Elle aimait les hommes, mais elle les méprisait aussi, et en fin de compte, elle les haïssait. J’ai été son collègue de travail pendant cinq ans. Au début, je savais vaguement qu’elle changeait souvent de petit ami mais cela ne m’intéressait pas. Lors de plusieurs voyages scolaires avec elle, nous commençâmes, par la force des choses, à bavarder. Je me suis alors aperçu qu’elle allait draguer ses mâles dans les bars et les boîtes de nuit. Certes, il doit  exister, ici et là, des couples aimants et durables qui se sont rencontrés de cette façon, mais dans l’ensemble, le taux de ratés, de tordus, de violents, d’irresponsables, d’égoïstes et de demeurés est tout de même plus élevé dans ces endroits-là que dans d’autres. Priscilla ne comprenait pas que l’on puisse trouver l’âme sœur autrement. Le dernier en date dont elle m’ait parlé avant que j’aille enseigner dans un autre établissement, insistait pour lui pisser dessus. Ne faisant pas partie du nombre infinitésimal de femmes qui aiment cela, elle s’apprêtait à le quitter. J’ai vainement essayé de la convaincre que tous les hommes n’étaient pas des nuls. Dans l’établissement où nous étions, force m’était pourtant de constater l’insondable indigence intellectuelle et émotionnelle d’une écrasante majorité des garçons. On les imaginait facilement grandissant dans le même style. « Quand on est con, c’est pour la vie » dit le proverbe. La pauvre Priscilla passait d’une période de déprime à celle d’un optimisme inattaquable quant aux qualités du prochain partenaire. J’avais envie, en plaisantent (mais peut-être pas tant que cela) de lui conseiller d’essayer les femmes mais je n’étais pas assez proche d’elle pour cela, et ne souhaitais pas le devenir…
Il y a des femmes qui attirent irrésistiblement les imbéciles, et sont attirées par eux. Elles ne se rendent pas compte qu’il existe tout de même un autre monde. C’est comme si on leur avait jeté un sort. Malgré l’aveuglement dont elle faisait preuve, j’étais triste pour Priscilla. Elle ne méritait pas d’être ce qu’elle était.  

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