jeudi 19 mai 2016

La revanche des faibles



…ou tout au moins de ceux que l’on considère trop facilement comme faibles : par exemple, adolescents férus d’informatique, de musique classique, de littérature, de maths, ou de sciences. Au lycée, un garçon est beaucoup plus accepté par les filles s’il joue au foot que s’il dissèque des cancrelats, fait des gammes au violon, photographie des oiseaux, compte les couches sédimentaires d’une falaise ou se passionne pour la vie de Gandhi. Quant aux jeunes mâles qui n’aiment pas sortir en boîte, ils n’ont aucune chance.

Lorsque Bill Gates et Steve Job devinrent millionnaires, puis milliardaires, certaines têtes de linotte aux muscles saillants commencèrent à se poser des questions.

Tous les « faibles » qui ont bien réussi dans la vie n’ont pas – et de loin – la notoriété de Bill Gates et Steve Job, mais beaucoup se retrouvent dans les domaines de la télévision et du cinéma. Pour faire passer le message, ils ont brillamment conçu des séries policières un peu décalées. Je pense à deux séries, en particulier : Monk et The Mentalist.

Adrian Monk est nettement le plus névrosé de ces deux détectives. Il a été systématiquement détruit par son enfance, c’est-à-dire par ses parents puis par l’école. Adulte, il a perdu sa femme, assassinée dans une voiture piégée. Il a peur de tout, et accumule les manies, en particulier celles du rangement et du nettoyage. Il n’a (ou n’a plus) aucune pulsion sexuelle, même s’il partage sa vie avec Nathalie, une adorable jeune femme. Égocentrique et pingre, il serait complètement perdu sans elle. Comme ses créateurs – ou simplement comme ses créateurs aimeraient se voir eux-mêmes – il est absolument brillant. Mémoire infaillible liée à un sens de l’observation et de la déduction qui ferait pâlir Sherlock Holmes de jalousie.

Patrick Jane est beaucoup plus jeune qu’Adrian Monk. Lui aussi a perdu sa femme, mais aussi sa fille. Elles ont été assassinées par un homme, John Le Rouge, dont il s’était moqué. John Le Rouge est donc sa Némésis. Alors qu’Adrien a été constamment victime et souffre-douleur, Patrick n’est victime que de son karma. Autre différence : bien que Patrick ne soit pas très courageux face au danger, il n’est pas aussi névrosé ou déséquilibré qu’Adrien. Il vient d’un monde, le monde du cirque, où il a été aimé et soutenu. Autrement, les deux hommes ont beaucoup en commun : supérieurement intelligents, enquêteurs hors-pair et capables de déceler immédiatement si les autres leur mentent. Patrick est cependant un manipulateur. Adrien en est tout à fait incapable. Il ne participe jamais aux interrogatoires, par exemple, alors que Patrick y est redoutable.
Étrange point commun entre les deux hommes : aucune pulsion sexuelle. Cette dernière caractéristique déclenche des échos mystérieux qui mettent le spectateur mal à l’aise… un inconfort qui est peut-être voulu de la part des scénaristes et producteurs, mais en dehors de l’évidente « revanche des faibles », quelles en sont les ramifications ?

Je ne me risquerai pas à tirer des conclusions, même nuancées, sur ce que la psychologie de ces deux détectives révèle de notre époque et de notre société. Certains y verraient un rejet de la femme ou une homosexualité latente. Je laisse cela aux experts en la matière, et ceci malgré que j’aie bien peu confiance en ces soi-disant experts. Comme les prêtres, ils supposent et ils inventent, car ils sont censés avoir réponse à tout. J’ai souvent regretté de ne pas  oser demander €200 de l’heure pour parler aux gens qui ont des problèmes, et leur faire croire, au moyen d’un vocabulaire sophistiqué, que cela leur fait tous les biens. Vu l’effet placebo, ce n’est d’ailleurs pas impossible, le charabia faisant office de remède… “Et voilà pourquoi votre fille est muette”.


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