samedi 25 janvier 2020

Paolo et Francesca


 
Ces amoureux passionnés se retrouvent dans l’enfer de Dante. Pourquoi ont-ils été punis ? Pour leurs pratiques charnelles ? Je ne crois pas. C’était juste une excuse.

À l’exception du Bouddhisme, les religions croient (ou voudraient nous faire croire) aux conséquences physiques de la parole. « Au commencement était le verbe… ». On peut certes affecter psychologiquement les êtres humains par la parole : les compliments encouragent ; les critiques découragent. Mais on ne peut pas changer les choses ou les évènements par des paroles. Lors d’une sécheresse, ce ne sont ni les prières des Chrétiens ni les danses des Sioux qui feront venir la pluie. Le pouvoir de la parole sur la réalité physique du monde est inexistant. C’est un vœu pieux.

Cette impuissance entraîne un certain niveau de frustration, surtout chez ceux d’entre nous qui sont (ou se disent) nos guides et nos chefs. Ce n’est pas nouveau : frustré, Xerxès, en 480 avait fait fouetter la mer pour la « punir » d’avoir détruit son pont flottant ! Pour les chefs religieux, ce sentiment d’impuissance mène tout droit à la folie et à la tyrannie.

Paolo et Francesca sont mariés, mais pas l’un à l’autre. Or, qu’est-ce que le mariage ? C’est la parole. Certes, c’est la parole donnée, une promesse, mais c’est seulement in fine une cérémonie abstraite. Tout conspire d’ailleurs à la rendre concrète : rites religieux, musique, habillement spécifique, banquet, bal et dépenses somptuaires.

En fin de compte, rien n’y fait : le nombre de divorces est aussi fréquent que le nombre de séparations entre couples non-mariés. On reste ensemble par respect, par amour ou par nécessité, mais non pour des paroles. Par ailleurs, rien n’oblige à l’exclusivité sexuelle, et les deux partenaires peuvent très bien être d’accord sur ce point. « Saviez-vous que vos parents pratiquaient l’échangisme ? » avais-je demandé à deux étudiantes qui abordaient le sujet. « Oui » répondirent-elles, « mais on savait aussi qu’ils s’aimaient et qu’ils nous aimaient. » Même pour le puritanisme américain de la ‘Bible Belt’ l’infidélité conjugale n’est pas un délit.

Paolo et Francesca sont en enfer pour avoir enfreint un tabou, c’est-à-dire un diktat, une condamnation orale. Leur crime n’était pas d’avoir couché ensemble : c’était d’avoir défié le pouvoir en place. Trop souvent, les moralistes sont obnubilés par la forme, et demeurent aveugles quant au fond.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire