mercredi 21 décembre 2016

Bonne bouffe, malbouffe





À juste raison, les problèmes de malbouffe nous concernent tous. En France, nous éprouvons vis-à-vis des autres nations, un sentiment de supériorité culinaire qui n’est pas totalement injustifié, supériorité particulièrement évidente par rapport aux pays anglophones.
 
Pour ce qui est de l’Angleterre, j’ai ma petite idée là-dessus, et je ne détesterais pas d’en discuter avec des sociologues et des historiens. J’ai souvent lu dans des livres d’Histoire que les cuisiniers de la noblesse française, désœuvrés après la révolution, avaient fréquemment fondé de petits ou grands restaurants qui leur permettaient d’exercer leur talent. Les familles, bourgeoises pour commencer, puis les autres, ont suivi le mouvement.
Les fermes de l’Ancien Régime s’étendaient sur des milliers d’hectares (ou de vergers, comme on disait à l’époque). Les manants n’avaient pas le droit de chasser, pas même le lapin ou le faisan. Dans certaines provinces, seul le seigneur du lieu avait également le droit de posséder un pigeonnier. L’alimentation, des classes populaires, qui pouvait certes être délicieuse au hasard des coutumes et des régions, n’en demeurait pas moins monotone. Si l’on ajoute la pauvreté dans laquelle elles étaient trop souvent maintenues, le tableau d’ensemble n’est guère attrayant.
L’Angleterre a connu des révolutions politiques et religieuses, ainsi que des révoltes, style jacqueries, vite réprimées, mais elle n’a jamais connu de révolution de société. Résultat : les propriétés terriennes (comme en France avant la révolution) s’étendent toujours sur des milliers d’hectare. Les fermes sont gérées comme de grandes entreprises, et le personnel travaille dans des conditions plus proches de celles des ouvriers d’usine que de celles des garçons de ferme. La gastronomie ? Elle était réservée à la noblesse, et jusqu’à un certain point, elle l’est encore.
Les progrès culinaires de l’Angleterre ont été immenses ces dernières décennies, mais n’allez pas demander à une famille anglaise ordinaire de préparer une langue de bœuf, des foies de volaille ou des rognons de veau. En 1974 j’ai voulu acheter du persil chez le marchand de légumes : il ne savait pas ce que c’était. Quant aux échalotes, elles n’étaient connues que des jardiniers. Qu’en faisaient-ils ? Mystère !
Le pain, en grosses miches rectangulaires blanches et un peu sucrées n’était que marginalement meilleur que du coton hydrophile. L’ignorance des vins était abyssale, et il n’y avait que deux fromages : le cheddar et le stilton. Pourtant dès cette époque, en encore maintenant, on trouvait ici et là des bouchers dit « de clubs », c’est-à-dire qui fournissent les cuisines du club de golf, du club nautique, du club hippique, des clubs de partis politiques : une deuxième forme de noblesse, pour ainsi dire. Là, vous trouverez à la fois qualité et variété, allant d’un poulet de Bresse à du ris de veau ou de la cervelle d’agneau.
Cette approche limitée envers la bonne cuisine s’est naturellement transmise aux États-Unis. Là aussi on peut dire que l’agriculture en tant qu’agriculture n’existe guère : la petite maison dans la prairie, c’est un vœu pieux. La ferme est vite devenue industrielle. Le petit paysan ayant disparu, il n’est pas question de « tuer le cochon » par exemple.
C’est là, pourtant, que nous observons une révolution à la fois silencieuse et puissante. Menée sur plusieurs fronts :

-      1. L’écologie et sa grande prêtresse Rachel Carson dont le livre Silent Spring a marqué à jamais les esprits. Contrairement aux écologues français, Rachel Carson n’est jamais tombée dans le ridicule et l’opportunisme de gauche. Les Européens qui se battent avec raison contre Monsanto et compagnie, ne se rendent pas compte à quel point ils ont de puissants alliés outre-Atlantique.

-      2. L’immigration travailleuse, c’est-à-dire, jusqu’aux année 70, celle qui venait en Amérique pour y trouver une vie meilleure, et non pour ponctionner le système.
Contrairement aux Anglais, dont la contribution culinaire, était minime, les autres nations immigrantes ont débarqué avec un riche héritage en ce domaine : Italiens, Juifs, Hongrois, Mexicains, et bien d’autres, sans oublier l’apport des habitants d’origine, les Amérindiens. Et les Français, dans tout cela ?

-      3. Ils font partie d’un autre aspect de la révolution culinaire américaine. Cette société, soi-disant égalitariste, s’est rapidement reconstitué une sorte de noblesse : c’est la nature humaine. Ces nouveaux nobles (à commencer par ceux de la Maison Blanche) ont employé des chefs français. Les restaurants français, presque toujours « exclusifs » et très chers, ont suivi l’exemple, débutant par le Nord-Est du pays, puis s’implantant sur la côte Est et enfin la côte Ouest. Il existe d’heureuses exceptions : mon restaurant français préféré à New York est le Château Henri IV : cadre magnifique mais pas prétentieux, cuisine excellente et prix abordables. J’éprouve aussi de la nostalgie pour une boulangerie-pâtisserie qui malheureusement n’existe plus, et qui s’appelait La Calorie

-      4. Le dernier aspect de la révolution culinaire des États-Unis ne vient ni du haut de l’échelle sociale, ni de l’étranger : elle vient de la pression populaire, et comme chez nous, d’un refus de la malbouffe, ou tout au moins de la bonne bouffe monotone. Des restaurants comme I-HOP sont excellents, mais le menu est limité ; et surtout d’un bout à l’autre du pays c’est toujours exactement le même menu dans des centaines d’établissements standardisés.

Les trouble-fêtes sont de plus en plus nombreux, mais il en a deux qui se détachent nettement :

a)    The Hairy Bikers. Traduction : les motards hirsutes ; deux anglais en quête d’un monde gastronomique meilleur. Simon King possède un diplôme universitaire en Histoire de l’art, avec spécialisation dans les œuvres en tempéra. Dave Myers a appris la cuisine avec de prestigieux chefs français. Ils recherchent la bonne bouffe et la trouvent dans des endroits insolites, inattendus et surtout qui ne paient pas de mine. Ils exploitent les traditions locales.
b)   Diners, drive-ins and dives, est une émission de télé similaire avec  Guy Fieri qui (comme Julie sur France 3) préfère pour ses déplacements le confort d’une voiture décapotable. Le but est le même : montrer que de vraies merveilles culinaires peuvent se nicher dans des villages perdus, de petits ports de pêche ou même au cœur d’une grande ville. L’important, c’est de ne pas se laisser décourager par des tables et bancs en bois, nappes à carreaux, verres et assiettes tout ce qu’il y a de plus ordinaires, sans parler du va-et-vient, parfois bruyant, des autochtones.

Dans la foulée un nouveau type de petite maison dans la prairie est en train de faire son apparition, surtout aux abords des villes : maraîchers bio, éleveurs de canards ou de lapins…

Vive la révolution ! (du moins, celle-là !)







  


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