Pour reprendre un dicton un peu
usé : « Chacun voit midi à sa porte ». Autrement dit, le lecteur
recrée dans sa tête le roman qu'il lit. Mieux encore, il le réécrit à la
lumière – ou à l'obscurité – de ses propres obsessions. Comme dans une sorte d'auberge espagnole virtuelle, il y voit surtout ce qu'il y apporte. C'est pourquoi Paul
Valéry disait des écrivains : « Ils avancent dans la vie à reculons »
c'est à dire sans avoir la moindre idée des réactions que leurs œuvres
déclencheront parmi les lecteurs.
Au début des années 80, je me
souviens d'avoir parlé avec une collègue d'une de mes nouvelles qui se passait au Maroc. Or, cette collègue
était Marocaine, et elle disait : « J'ai adoré les descriptions du Maroc :
c'est tellement vrai ! ». J'ai relu la nouvelle. On y parle d'une villa
sous la lune et – détail certes typique des montages du Maroc – des singes qui
lancent des pierres aux passants. A part cela, l'histoire pourrait se passer
n'importe où, mais pour ma collègue, cela ouvrait les vannes de son mal du
pays.
L'un des livres qui ont enchanté
mon enfance, c'est Le Général Dourakine de la Comtesse de Ségur.
Je garde une impression magique des grands paysages russes dormant sous la
neige mais je ne veux pas le relire car je sais que la chère comtesse n'était
guère portée aux descriptions et que c'est mon imagination enfantine qui les a
intercalées dans le récit.
Je tombe, par hasard, sur une analyse
de L’Amant
de Lady Chatterly. La chroniqueuse
y voit une splendide illustration de la lutte des classes.
Pendant mes années d'adolescence,
je suis, comme tant d’autres, tombé dans le piège de vouloir lire ce roman, et j'ai
été déçu. Je n'y ai vu, cependant, aucune lutte des classes, simplement la
découverte d'un personnage par un autre. La situation aurait très bien pu être
inversée. L'épouse d'un garde-chasse, frustrée par les insuffisances de son
mari aurait été sexuellement libérée par le châtelain du coin.
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