En littérature, l'indignation ne s'attaque qu'au
talent. A la parution de Madame Bovary, Gustave Flaubert fut
traîné en justice, accusé de pornographie, et le roman lui-même fut mis dans la
plus ridicule des listes : l'Index de l'église catholique. Je dis ridicule car
elle orientait les adolescents vers des lectures, en général fort anodines, que
ces derniers trouvaient, la plupart du temps, assez décevantes.
En 1865 les gares regorgeaient de
petits romans égrillards où il n'était question que de bonniches retroussées,
de femmes infidèles, de parties de jambes en l'air et de rendez-vous sulfureux.
Curieusement, aucun de ces ouvrages n'a jamais été jugé digne d'être mis à
l'Index. C'est que le talent n'y était pas.
Sur quoi s'est-on basé pour
accuser Flaubert ? D'abord sur l'intrigue. Une femme mariée qui a des amants.
Pensez donc ! Quelle horreur ! Ça ne s'était jamais vu ! On a ensuite reproché
à Flaubert de n'avoir pas condamné le comportement d'Emma. Enfin, on s'est
attaqué à deux passages bien précis :
Le premier concerne les rencontres
entre Emma et Rodolphe dans le pavillon, au fond du jardin. Flaubert nous dit
que l'on entendait le vent gémissant dans les roseaux. Nous sommes à l'époque
où s'épanouit la poésie symboliste. Les lecteurs ne s'y sont pas trompés :
c'étaient les gémissements d'Emma.
Le deuxième, moins poétique,
concerne la course en fiacre. Les réactions du cocher indiquent clairement que,
à l'intérieur du fiacre, Emma est en train de tailler une pipe à Léon. C'est
fait avec humour, sans mots crus, sans vulgarité.
Petite question : comment les bons
évêques qui ont mis le roman à l'Index savaient-ils tout cela ?
Plus récemment, c'est à dire il y
a une bonne soixantaine d'années, la presse catholique s'est déchaînée contre
le premier roman de Françoise Sagan : Bonjour Tristesse, lui
assurant, du coup, un succès sans précédent. Le passage le plus pornographique
? La jeune héroïne, assise sur la plage, essaie d'allumer une cigarette mais
ses doigts tremblent en pensant aux moments qu'elle vient de vivre : sa
première après-midi avec son premier amant.
Que trouvait-on dans les gares à
la fin des années 50 ? Des histoires de parties carrées. Pour le reste, les
voitures avaient remplacé les fiacres....