Emma se sentit, en
entrant, enveloppée par un air chaud, mélange du parfum des fleurs et du beau
linge, du fumet des viandes et de l’odeur des truffes.
Ainsi commence, dans Madame Bovary le célèbre
épisode du bal.
Essayons la modification suivante :
En entrant, Emma se sentit
enveloppée etc…
On a l’impression que l’action s’est accélérée.
L’effet produit sur le lecteur est beaucoup plus neutre : on raconte ce
qui se passe, rien de plus.
Alors, en quoi la première version est-elle
meilleure ?
Tout d’abord ce en entrant entouré de
virgules, ralentit la lecture. Emma n’entre pas dans la salle à manger du
château comme elle serait entrée dans sa propre maison. Là, elle est
intimidée : elle hésite. Nous aussi. Ensuite, nous avons une répétition du
son « en ». Flaubert était trop sensible à la musique des phrases
pour ne pas l’avoir fait exprès. Emma se sentit, en entrant,
enveloppée… La lourde sonorité des ces « en » à répétition
trahit le sentiment d’angoisse ressentit par Emma au moment où elle passe du
monde de la petite bourgeoisie à celui de la noblesse.
Cela s’appelle la magie du style. Tout Madame
Bovary est ainsi.
Depuis quelques décennies la plupart des lecteurs ne
sont plus sensibles au style. Il y a tout en éventail de raisons à cela :
explosion de l’audio-visuel, méthode globale, chahut dans les collèges, profs
qui sont soit dénués d’enthousiasme pour leur sujet, soit découragés par le
presque illettrisme de leurs élèves, soit encore indifférents eux-mêmes à la
beauté du texte. Lira-t-on encore Flaubert dans cinquante ans ? Il y a
déjà des profs qui le trouvent barbant…
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