…ou tout au moins de ceux que l’on
considère trop facilement comme faibles : par exemple, adolescents férus
d’informatique, de musique classique, de littérature, de maths, ou de sciences.
Au lycée, un garçon est beaucoup plus accepté par les filles s’il joue au foot
que s’il dissèque des cancrelats, fait des gammes au violon, photographie des
oiseaux, compte les couches sédimentaires d’une falaise ou se passionne pour la
vie de Gandhi. Quant aux jeunes mâles qui n’aiment pas sortir en boîte, ils
n’ont aucune chance.
Lorsque Bill Gates et Steve Job
devinrent millionnaires, puis milliardaires, certaines têtes de linotte aux
muscles saillants commencèrent à se poser des questions.
Tous les « faibles » qui ont
bien réussi dans la vie n’ont pas – et de loin – la notoriété de Bill Gates et
Steve Job, mais beaucoup se retrouvent dans les domaines de la télévision et du
cinéma. Pour faire passer le message, ils ont brillamment conçu des séries
policières un peu décalées. Je pense à deux séries, en particulier : Monk et The Mentalist.
Adrian Monk est nettement le plus
névrosé de ces deux détectives. Il a été systématiquement détruit par son
enfance, c’est-à-dire par ses parents puis par l’école. Adulte, il a perdu sa
femme, assassinée dans une voiture piégée. Il a peur de tout, et accumule les
manies, en particulier celles du rangement et du nettoyage. Il n’a (ou n’a
plus) aucune pulsion sexuelle, même s’il partage sa vie avec Nathalie, une
adorable jeune femme. Égocentrique et pingre, il serait complètement perdu sans
elle. Comme ses créateurs – ou simplement comme ses créateurs aimeraient se
voir eux-mêmes – il est absolument brillant. Mémoire infaillible liée à un sens
de l’observation et de la déduction qui ferait pâlir Sherlock Holmes de
jalousie.
Patrick Jane est beaucoup plus jeune
qu’Adrian Monk. Lui aussi a perdu sa femme, mais aussi sa fille. Elles ont été
assassinées par un homme, John Le Rouge, dont il s’était moqué. John Le Rouge
est donc sa Némésis. Alors qu’Adrien a été constamment victime et souffre-douleur,
Patrick n’est victime que de son karma. Autre différence : bien que
Patrick ne soit pas très courageux face au danger, il n’est pas aussi névrosé
ou déséquilibré qu’Adrien. Il vient d’un monde, le monde du cirque, où il a été
aimé et soutenu. Autrement, les deux hommes ont beaucoup en commun :
supérieurement intelligents, enquêteurs hors-pair et capables de déceler immédiatement
si les autres leur mentent. Patrick est cependant un manipulateur. Adrien en
est tout à fait incapable. Il ne participe jamais aux interrogatoires, par
exemple, alors que Patrick y est redoutable.
Étrange point commun entre les deux
hommes : aucune pulsion sexuelle. Cette dernière caractéristique déclenche
des échos mystérieux qui mettent le spectateur mal à l’aise… un inconfort qui est
peut-être voulu de la part des scénaristes et producteurs, mais en dehors de
l’évidente « revanche des faibles », quelles en sont les
ramifications ?
Je ne me risquerai pas à tirer des
conclusions, même nuancées, sur ce que la psychologie de ces deux détectives
révèle de notre époque et de notre société. Certains y verraient un rejet de la
femme ou une homosexualité latente. Je laisse cela aux experts en la matière,
et ceci malgré que j’aie bien peu confiance en ces soi-disant experts. Comme
les prêtres, ils supposent et ils inventent, car ils sont censés avoir réponse
à tout. J’ai souvent regretté de ne pas oser
demander €200 de l’heure pour parler aux gens qui ont des problèmes, et leur
faire croire, au moyen d’un vocabulaire sophistiqué, que cela leur fait tous
les biens. Vu l’effet placebo, ce n’est d’ailleurs pas impossible, le charabia
faisant office de remède… “Et voilà
pourquoi votre fille est muette”.
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