Pourquoi ma grand-mère ne s’est-elle jamais
remariée ? Quand j’étais gamin, je ne comprenais vraiment pas. Mariée à 18
ans, veuve à 25 ans elle avait encore, comme on dit « toute la vie devant
elle ».
Première explication : François, son mari, était
quelqu’un d’exceptionnel. Et il l’était : ses lettres et même ses cahiers
d’écolier le révèlent comme tel. Agriculteur mais né dans un manoir il
possédait une certaine noblesse de maintien, de langage et surtout de comportement
qui le distinguait de ses pairs. Il lisait, il allait écouter des concerts de musique classique...
Il était tombé amoureux de Maria alors qu’elle
n’avait que douze ans. Sans jamais rien lui dire, il avait sagement attendu
qu’elle en ait seize avant de se déclarer.
Maria
venait d’un milieu beaucoup plus modeste. Au lendemain de sa nuit de noce, elle
se leva à cinq heures du matin. “Mais qu’est-ce que tu fais ?” lui demanda
François. “Il faut bien aller traire les vaches !” répondit-elle.
“Non, la maîtresse de maison ne va pas traire les vaches.
C’est le travail des garçons et filles de ferme”.
Elle était tombée dans un autre monde, non seulement sur
le plan financier mais surtout sur le plan de l’affection, de la chaleur
humaine, de la considération qu’un mari doit à sa femme, bref de l’amour, tout
simplement.
Pas très étonnant, après cela, que les prétendants des
environs – et il y en eut, car elle était très belle – n’aient pas soutenu la
comparaison.
Dernièrement, je suis devenu conscient d’une autre
explication. À Noël, me disait récemment mon ami Alexis, cela fera deux ans que
Constance et moi serons séparés. Depuis notre séparation, il y a eu Juliette, Simone,
Agathe et Angélique. Ça n’a marché avec aucune. Je suis parfaitement conscient,
précisait-il, du fait qu’il ne faut pas essayer de retrouver chez B, C ou D ce
que l’on connaissait avec A, mais, à chaque fois, le manque de désir me prend
au dépourvu.
L’absence de Constance n’est pas une obsession pour Alexis.
Cela ne l’empêche pas de dormir la nuit mais cela l’empêche de bander avec une
autre femme, ce qui signifie que tout au fond de lui quelque chose s’est brisé.
Étant d’un naturel optimiste il pense que le temps réussira à effectuer les
réparations nécessaires, mais son histoire m’a aidé à mieux comprendre ma
grand-mère. J’ai longtemps cru qu’elle n’avait pas voulu se remarier. Je
me rends compte maintenant qu’elle en a été tout simplement incapable. Elle n’a
pas pu.
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