L’une de mes arrière-grand-mères a vu son fiancé partir à
la guerre de 1870. Après la déroute de Sedan, il a traversé toute la France à pied, puis est
réapparu à Saint-Nicolas-près-Granville, hagard, n’ayant plus que la peau et
les os. Sa belle chevelure brune était devenue blanche. Il avait l’air d’un
vieillard. Il tomba dans les bras de mon aïeule qui le ramera lentement à la
santé. Elle était toujours follement amoureuse de lui. Ils s’épousèrent. Le
reste de sa vie, il garda les cheveux blancs ainsi que les traits tirés et
ridés d’un vieil homme. Fin des ennuis ? Que nenni ! Pendant des
années les bonnes âmes de la région se moquèrent du jeune couple. “Comment
a-t-elle pu épouser une pareille loque, alors qu’il y avait tant de beaux
garçons dans la région !” Le spectacle d’un amour sincère les dérangeait
et les taraudait, engendrant à la fois jalousie et méchanceté. On choisissait
souvent son partenaire selon le bien qu’il ou elle possédait mais, apparemment,
on le choisissait aussi comme un taureau de foire. Allait-on jusqu’à lui retrousser
les lèvres pour inspecter ses dents ?
Michel et moi évoquions ce genre de souvenirs l'été dernier. La vie de ses parents et grands-parents n’avait pas été plus gaie. Nous
tombâmes d’accord pour admettre que, comparés à nos ancêtres, nous étions des
privilégiés. Nous n’avons pas le droit de nous plaindre de la vie.
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