Jérôme est sorti
une fois avec Nadine. C’était la jeune femme la plus élégante, la plus parfaite
qu’il ait jamais connue. C’était une Grace Kelly de vingt ans. Perfection
corporelle, perfection du visage, perfection de l’habillement, parfum discret.
Elle a épousé Arthur, et maintenant elle voyage dans le monde entier pour le compte
du gouvernement canadien. Elle est devenue experte en relations publiques et en
informatique.
Si elle avait épousé Jérôme, elle serait restée la petite
femme d’un petit prof. Si elle avait épousé l’un des nombreux garçons à
l’intellect plutôt limité qui tournaient autour d’elle au lycée, elle aurait pu
se transformer en bonne ménagère, femme-au-foyer modèle.
Le sort d’Iñes
Sur les conseils d’un docteur complètement débile, Olive a donné du Complan
à Iñes quand cette dernière était bébé. Elle n’en avait aucun besoin. Les amis
de la famille avaient des doutes, sachant que les gros bébés font les gros
adultes mais on est trop souvent l’esclave du respect exagéré que l’on porte
aux docteurs. Personne n’a parlé. Les aurait-on cru, d’ailleurs ? Iñes restera grosse : c’est ancré en
elle.
Puis
on l’a vue jouant entre les maisons, dans des courants d’air glacés. Elle avait
sur elle plusieurs épaisseurs de vêtements… tous ouverts à la gorge et sur le
devant de la poitrine. Pas d’écharpe. Elle a donc fait bronchite sur bronchite
pendant sa scolarité. Maintenant, elle
en attrape encore avec une facilité surprenante. Dernière de quatre enfants, Olive
ne s’était jamais occupée d’un bébé et, agissant par instinct, elle ne
réfléchissait pas.
Iñes
a rencontré Aymé. Intelligent mais rejeté par sa mère, il était devenu, un
invalide de l’amour, un égoïste naturel, pas méchant mais sans aucune fibre de
compassion. Aymé était diabétique, et chaque fois qu’il grignotait quelque
chose, Iñes grignotait aussi. De grosse elle est devenue énorme, légèrement
diabétique également, tout son métabolisme déséquilibré.
C’est
ainsi que les Grecs voyaient les dieux : jouant avec les hommes sur
l’échiquier de leur ennui. D’autres parlent de Ka ou de Karma, d’autres, plus
orgueilleux, plus égocentriques, s’imaginent qu’Allah prend le temps de régler
tous les détails de leurs misérables petites vies. C’est fort pratique
lorsqu’il s’agit de faire du mal autres : si ça marche, c’est qu’Allah le
voulait ainsi.
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