Nous tombons souvent dans le piège (je n’en suis pas exempt) qui consiste à
croire que la civilisation est uniquement le résultat de fonctions
intellectuelles : littérature, musique, philosophie, recherche
scientifique etc.
Je suis allé voir avec Julie l’école
et l’exposition permanente (mais toujours changeante) des Compagnons du Devoir,
une organisation qui s’occupe de repérer et encourager par tous les moyens les
surdoués du travail manuel. Dans le monde paresseux, égoïste et sans pitié qui
est le nôtre (surtout dans des endroits comme Marseille) ces jeunes gens, et
quelques jeunes filles, sont sympathiques, travailleurs et enthousiastes. Pour
obtenir leur diplôme de CdD, ils doivent, en fin d’étude, produire un
chef-d’œuvre. On touche alors du doigt et du cœur la continuité quasi mystique
entre les grands artistes du passé comme Praxitèle, Fabergé ou Stradivarius et
leurs descendants.
Ce sont fréquemment des anciens du CdD qui gagnent, tous les ans, la
récompense du Meilleur ouvrier de France
dans leurs spécialités respectives. Ils trouvent du travail chez les plus
grands architectes, les carrossiers tels que Pininfarina, les constructeurs de
voiliers de course ou de luxe comme Bénéteau, les restaurateurs de monuments
historiques etc… On s’aperçoit alors que ces ouvriers, et leurs homologues dans
les autres pays, sont au cœur même de ce que nous appelons la Civilisation.
Curieusement, c’est
un peu la même chose que j’ai ressenti en écoutant le Requiem joué selon les
instructions précises de Berlioz, avec deux petits orchestres de cuivres,
placés comme des satellites, au fond de la salle. Dans les deux cas il s’agit
d’un effort artistique, c’est à dire du dépassement de la condition humaine.
Dans les deux cas, on sent une angoisse, un défi : nous valons mieux que
ce corps qui se détériore de jour en jour, finira dans la déchéance et la
souffrance puis disparaîtra. L’Art est un cri de rage et de révolte. C’est ce
qu’il y a de plus important au monde car, sans lui, que vaudrait la simple
survie ? Les barbares le savent bien, qui voient en l’Art une gifle, un
reproche constant à leur intrinsèque ineptie, et c’est pour cela que, comme à
Palmyre, ils n’ont qu’une obsession : détruire, détruire, détruire… C’est
tellement plus facile que de construire !
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