Dans Qu’est-ce que le Classicisme ?
Henri Peyre dit, à la page 91 : “Tout mouvement nouveau en France (le
Romantisme l’a bien senti) doit tôt ou tard soutenir, dans l’estimation de son
apport psychologique, la redoutable comparaison avec les Classiques du XVII°
siècle”.
À cette estimation de
son apport psychologique j’ajouterais : "et dans l’estime du public".
Et
l’existentialisme ? Camus n’a-t-il pas (à sa manière évidemment) un style
classique ?
Les Classiques
étaient, en effet des passionnés.
-
Ils étaient d’abord passionnés par l’Antiquité, une
Antiquité qui n’avait pas perdu de sa fraîcheur, non seulement grâce à
l’enseignement du grec et du latin dans les écoles, mais surtout parce que le
caractère inquiétant (pour les Chrétiens) de ces littératures pré-chrétiennes,
n’avait pas fini d’étonner. Comparées à la mentalité chrétienne, les mentalités
antiques devaient paraître aussi étranges que, plus tard, nous ont parues
étranges les valeurs culturelles des Japonais.
Cependant, si j’avais vécu au XVII° siècle, j’aurais
certainement été un Moderne ; non par mépris pour
l’Antiquité mais parce que le Christianisme donnait depuis longtemps aux
littératures occidentales un éventail de valeurs et de références dont on ne
pouvait plus se passer, même en s’y opposant. Les concepts de charité et de
tolérance (si peu appliqués par l’église catholique elle-même) étaient bien
établis. On ne disait pas tolérance, on disait pardon
ou clémence mais qui pardonne tolère. L’idée fondamentale du
Christianisme n’en demeure pas moins la faculté de se mettre, en théorie, dans
la peau des autres et de sympathiser avec leurs joies et leurs douleurs, c’est
à dire d’aimer les autres comme soi-même. Le génie de Racine, qui symbolise le
classicisme – et en représente le sommet – a été de donner des vibrations
chrétiennes à des intrigues antiques.
-
Ils étaient ensuite des passionnés de l’introspection. La
psychanalyse freudienne n’étant pas encore née, psychologie
signifiait essentiellement introspection. Quand j’étais
gamin, on se moquait beaucoup du roman psychologique. On le qualifiait
de facile ; mais aucun genre n’est facile. Quel que soit le
genre littéraire que l’on adopte, quelle que soit l’étiquette qu’on vous colle
sur le dos, le mot de la fin est d’avoir du talent ou de ne pas en avoir. Les
personnages de Racine adorent s’analyser. Ils ne s’occupent guère d’analyser
les autres. Le contenu émotionnel de cette introspection nous emporte. Oreste sait
qu’il n’aurait pas dû revenir en Épire. Pyrrhus sait qu’il ne devrait
pas aimer Andromaque. Hermione sait qu’elle ne devrait pas faire
assassiner Pyrrhus etc. ; mais ils le font quand même. Chez Corneille
comme chez Racine, les hésitations et les combats intérieurs sont souvent de
même nature. Les personnages de Corneille surmontent leurs doutes et leurs
hésitations ; ceux de Racine y succombent. Bérénice, chez Corneille comme
chez Racine, choisit la raison d’État. Corneille grandit son héroïne ;
Racine la détruit. Notre cœur se déchire avec celui de la Bérénice de Racine. On ne
se souvient même plus de la pièce de Corneille.
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Ils étaient surtout amoureux de la langue française. Même
un philosophe comme Descartes s’exprime de façon magnifique. Ils avaient
conscience du fait qu’une langue évolue. Le choix d’un vocabulaire simple et
d’une grammaire rigoureuse signifie que 300 ans plus tard, on les comprend sans
effort. Ce n’est pas un accident. Comme le dit Henri Peyre : “L’exemple
des anciens… l’incite à… rechercher… l’élément constant de la beauté, celui qui
survivra le plus sûrement au naufrage des siècles”.
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Enfin, ils étaient souvent jeunes, et même
révolutionnaires. Racine avait vingt-quatre ans quand il a écrit Andromaque. Boileau, au même âge,
s’insurgeait contre la médiocrité des poètes de son époque. On est loin de
l’image « vieux barbus » qui, à cause d’une autre médiocrité (celle
des profs) est devenue l’image qu’emportent avec eux les collégiens.
Henri Peyre
continue : “Le vrai classique… fait en sorte que les mots ne dépassent ni ne
forcent la pensée ou le sentiment.” Là, je ne suis pas d’accord. Les mots des
auteurs classiques dépassent constamment la pensée ou le sentiment, et ils le
font par le choix même de ces mots, par leur sonorité, par la faculté qu’ils
ont de libérer, de déranger ou d’électriser notre subconscient. Racine, en
particulier, était freudien avant la lettre.
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