Lorsque,
dans les années 70, j’allais attendre ma compagne à la sortie de son travail, je
faisais toujours monter sa chienne Alcatraz (nommée ainsi à cause du chenil dégueulasse où nous l'avions récupérée) dans ma voiture. Elle scrutait les gens qui sortaient à
la hâte par la grande porte des bureaux et par celle de l’usine. C’était
« la débauche » comme on dit à Saint-Nazaire. Le cou rigide,
Alcatraz, myope comme tous les chiens, examinait chacun et surtout chacune.
Soudain elle se détendait. Sa queue s’agitait et elle poussait des petits
gémissements : elle avait repéré la femme qu’elle aimait. Moi, je me
sentais coupable. J’avais l’impression que ce chien était plus loyal, plus
aimant, et somme toute, plus intelligent que moi ;
certainement plus heureux aussi. De toutes ces femmes qui sortaient de l’usine,
il en avait choisi une, et il l’aimait sans réserve, sans arrière-pensée, comme on le devrait toujours.
Entre
savoir ce qu’il faut faire et le faire, il y a un gouffre, une attaque de
paralysie. On souhaiterait pouvoir recommencer sa vie en possédant la sagesse qui
consisterait à explorer et apprécier l’âme et les sentiments des personnes dont on partage la vie ; mais il est difficile d'apprendre à aimer alors qu’on ne l’a pas été
soi-même ; difficile d'apprendre à écouter et à se taire quand on ne vous a
jamais écouté et qu’on n’a jamais cessé de vous critiquer ; difficile mais pas impossible. Le premier stade est d'en être conscient, le deuxième de vouloir vraiment s'améliorer.
Je
suis assis à mon bureau. Tipsy, le chat, entre dans la pièce, se couche à mes pieds et
se met à ronronner. Il est content d’être avec moi. Il ne songe à rien d’autre.
Une autre leçon de bonheur.
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