Quand ma fille est née, je me suis demandé comment elle
passerait du stade de l’innocence à la réalisation que le monde est peuplé de grosses
brutes, d’hypocrites, de dominateurs et d’arnaqueurs, puis à la réalisation
peut-être encore plus douloureuse, que ceux qui se prétendent les guides de
notre société n’éprouvent à l’égard des criminels et délinquants que la plus
profonde indifférence, quand ils ne vont pas (comme le fait en ce moment un
soi-disant Ministère de la Justice) jusqu’à les encourager.
C’est peut-être pour cela que si le bien triomphe du mal dans un roman ou dans un film, on a chaud au cœur en refermant le
livre, en sortant de la salle de cinéma ou en éteignant la
télé. Je ne parle pas des westerns. Dès le départ, on sait que les cowboys au
chapeau blanc prendront le dessus sur ceux qui, mal rasés, ivrognes et crachant
des jets de tabac à chiquer, portent un chapeau noir, la victoire des chapeaux
blancs sur les chapeaux noirs ne s’accomplissant d’ailleurs qu’après des scènes
de violence inouïe.
Non : je pense surtout à ces histoires au cours
desquelles on admire sincèrement le bien, au point d’en avoir les larmes aux
yeux. Ce n’est plus sur la page ou sur l’écran que le bien triomphe alors du
mal : c’est en nous-mêmes.
C’est Gandhi qui, sous les coups de bâton, continue à brûler
les laisser-passer des noirs et des Indiens, puis toujours avec un grand
calme, organise la résistance contre le monopole britannique sur le tissage
et le commerce du sel. Là, ce n’est pas de la littérature ou du cinéma :
c’est la réalité dans sa chair, et dans la souffrance de la chair.
C’est la Félicité de Gustave Flaubert. Cette femme a
vraiment existé. Elle va et vient dans Madame
Bovary, mais a aussi inspiré l’admirable
nouvelle : Un Cœur simple.
Elle réapparaît une troisième fois, sous le nom de Catherine Leroux, dans l’épisode
de Madame Bovary connu sous le
nom de : la fête des comices.
"Alors on vit
s'avancer sur l'estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui
paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de
grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son
visage maigre, entouré d'un béguin sans bordure, était plus plissé de rides
qu'une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge
dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des
granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien
encroûtées, éraillées, durcies, qu'elles semblaient sales quoiqu'elles fussent
rincées d'eau claire ; et, à force d'avoir servi, elles restaient
entrouvertes, comme pour présenter d'elles-mêmes l'humble témoignage de tant de
souffrances subies. Quelque chose d'une rigidité monacale relevait l'expression
de sa figure. Rien de triste ou d'attendri n'amollissait ce regard pâle. Dans
la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité.
C'était la première fois qu'elle se voyait au milieu d'une compagnie si
nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les
tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d'honneur du
Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s'il fallait s'avancer ou
s'enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui
souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de
servitude."
Dans le domaine de la fiction, on trouve Jefferson Smith,
qui va à Washington. Sénateur naïf, ignorant tout des règles politiciennes,
puis s’y opposant avec courage, il devient le symbole de l’honnêteté face aux
corruptions gouvernementales.
C’est Atticus Finch qui prend la défense de Tom Robinson
dans To kill a Mockingbird.
C’est Forest Gump, bien sûr, qui ne se rend compte
ni de la laideur du monde, ni de la chance qui lui sourit, mais qui sème le
bonheur autour de lui.
C’est Gideon, dans le film du même nom de la grande
réalisatrice Claudia Hoover, un simple d’esprit dont la sagesse inconsciente
change, sinon le monde, du moins le monde d’une maison de retraite, illustrant ainsi
les Béatitudes.
On pourrait en ajouter bien d’autres. Ces personnages, réels
ou fictifs, répondent à une véritable soif de justice en nous tous, à un besoin d’équité,
et surtout au besoin de croire que ce n’est pas toujours le mal qui gagne la
partie. Cet idéal se heurte, hélas, à la réalité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire