mercredi 1 juin 2016

Esprits simples



Quand ma fille est née, je me suis demandé comment elle passerait du stade de l’innocence à la réalisation que le monde est peuplé de grosses brutes, d’hypocrites, de dominateurs et d’arnaqueurs, puis à la réalisation peut-être encore plus douloureuse, que ceux qui se prétendent les guides de notre société n’éprouvent à l’égard des criminels et délinquants que la plus profonde indifférence, quand ils ne vont pas (comme le fait en ce moment un soi-disant Ministère de la Justice) jusqu’à les encourager.



C’est peut-être pour cela que si le bien triomphe du mal dans un roman ou dans un film, on a chaud au cœur en refermant le livre, en sortant de la salle de cinéma ou en éteignant la télé. Je ne parle pas des westerns. Dès le départ, on sait que les cowboys au chapeau blanc prendront le dessus sur ceux qui, mal rasés, ivrognes et crachant des jets de tabac à chiquer, portent un chapeau noir, la victoire des chapeaux blancs sur les chapeaux noirs ne s’accomplissant d’ailleurs qu’après des scènes de violence inouïe.



Non : je pense surtout à ces histoires au cours desquelles on admire sincèrement le bien, au point d’en avoir les larmes aux yeux. Ce n’est plus sur la page ou sur l’écran que le bien triomphe alors du mal : c’est en nous-mêmes.



C’est Gandhi qui, sous les coups de bâton, continue à brûler les laisser-passer des noirs et des Indiens, puis toujours avec un grand calme, organise la résistance contre le monopole britannique sur le tissage et le commerce du sel. Là, ce n’est pas de la littérature ou du cinéma : c’est la réalité dans sa chair, et dans la souffrance de la chair.



C’est la Félicité de Gustave Flaubert. Cette femme a vraiment existé. Elle va et vient dans Madame Bovary, mais a aussi inspiré l’admirable nouvelle : Un Cœur simple. Elle réapparaît une troisième fois, sous le nom de Catherine Leroux, dans l’épisode de Madame Bovary connu sous le nom de : la fête des comices.



"Alors on vit s'avancer sur l'estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d'un béguin sans bordure, était plus plissé de rides qu'une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse des lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies, qu'elles semblaient sales quoiqu'elles fussent rincées d'eau claire ; et, à force d'avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d'elles-mêmes l'humble témoignage de tant de souffrances subies. Quelque chose d'une rigidité monacale relevait l'expression de sa figure. Rien de triste ou d'attendri n'amollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C'était la première fois qu'elle se voyait au milieu d'une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d'honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s'il fallait s'avancer ou s'enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude."



Dans le domaine de la fiction, on trouve Jefferson Smith, qui va à Washington. Sénateur naïf, ignorant tout des règles politiciennes, puis s’y opposant avec courage, il devient le symbole de l’honnêteté face aux corruptions gouvernementales.



C’est Atticus Finch qui prend la défense de Tom Robinson dans To kill a Mockingbird.



C’est Forest Gump, bien sûr, qui ne se rend compte ni de la laideur du monde, ni de la chance qui lui sourit, mais qui sème le bonheur autour de lui.



C’est Gideon, dans le film du même nom de la grande réalisatrice Claudia Hoover, un simple d’esprit dont la sagesse inconsciente change, sinon le monde, du moins le monde d’une maison de retraite, illustrant ainsi les Béatitudes.



On pourrait en ajouter bien d’autres. Ces personnages, réels ou fictifs, répondent à une véritable soif de justice en nous tous, à un besoin d’équité, et surtout au besoin de croire que ce n’est pas toujours le mal qui gagne la partie. Cet idéal se heurte, hélas, à la réalité.

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