3. L'église. Agnostique, je ne vais pas à l'église pour assister aux offices, mais j'y vais si on y donne un récital d'orgue. L'un de mes amis dans l'Aéronavale s'appelait Julien Lessen. Ce nom de famille aux résonances anglaises ne l'empêchait pas d'être breton depuis plusieurs générations, depuis l'époque, probablement, où la Bretagne s'était offert le luxe d'une guerre civile en parallèle avec la Guerre de Cent ans. Julien jouait merveilleusement bien de l'orgue. Nous allions à l'église de Kénitra. Il jouait. J'écoutais.
Cette année-là, l'église avait organisé une kermesse. Avec deux ou trois amis, j'avais monté un stand de massacre : on devait envoyer une balle de tennis vers une rangée de portraits en contreplaqué qui représentaient les officiers de la base aéronavale. Gros succès. Un Marocain, saoul comme une bourrique et buvant à même la bouteille, commença à hurler tout en agitant sa moustache sous le nez des femmes et des jeunes filles. "Il faudrait peut-être appeler la Police" suggérai-je. "Oh, malheureux, ne fais pas ça !" me dit le curé de la paroisse : "Ils vont le tabasser !" Trop tard. Quelqu'un nous avait devancés. Je vis deux policiers agripper l'ivrogne et le rouer de coups. Le sang giclait de son visage. La foule devint silencieuse. L'ivrogne fut entraîné hors de la fête. Nous nous sentions coupables.
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