“Moi, l’art français, je ne l’ai jamais vu.” Phrase
maintenant célèbre, prononcée par le célèbre aveugle qui préside à nos
destinées. Merci aux millions de ces autres aveugles qui l’ont élu.
N’ayant jamais vu les cathédrales, les forteresses médiévales,
les châteaux de la Loire, les Riches Heures du Duc de Berry, les jardins de
Lenôtre, la galerie des glaces, les pièces de Racine, les peintres
impressionnistes ou les opéras de Gounod, il ne faut pas trop s’étonner qu’il
n’ait jamais vu non plus les petites choses, les rites discrets et les humbles
coutumes qui ont tissé les mailles de cette extraordinaire civilisation qu’on
appelle la France, une civilisation qu’il déteste. Entrez, mes amis, dit-il aux
ennemis de la France, venez par centaines de milliers, et comme des gamins qui,
par jeu et par ignorance, casseraient du Sèvres ou du Baccarat, amusez-vous
bien à tout incendier, briser et avilir. Ce sera tellement drôle ! Je m’en
tiendrai les côtes !
Une petite chose ? Un rite discret ? Une humble
coutume ? Un exemple (entre mille) ? La tradition du petit canard. On
se sert un verre de calvados, puis on met un morceau de sucre dans une cuiller,
et on la fait descendre dans le calva, mais on n’y laisse pas le sucre trop
longtemps : il doit garder sa forme parallélépipédique. Ensuite, on le
croque. Chaque région de France, chaque campagne de France, chaque village
possède ainsi sa touche de magie, qu’elle soit culinaire, sentimentale, florale,
potagère, architecturale, musicale... Va-t-on rapidement vers l’époque où tout
ce qui faisait le charme de la vie quotidienne en France ne sera plus
disponible que dans les livres d’Histoire ?