J’étais encore tout gamin, huit
ans peut-être, lorsque j’ai vu pour la première fois au cinéma des Amérindiens
se dandiner en grognant pour demander à leurs dieux de faire venir la pluie. Cela
m’a bien fait rire.
On riait également au spectacle
d’Africains qui tuaient un poulet, l’aspergeaient de farine et marmonnaient des
prières en effectuant des signes cabalistiques, tout cela pour s’attirer la
bonne grâce des esprits, ou pour se protéger de quelques autres.
À l’époque, j’étais ce qu’on
pourrait appeler un catholique par habitude (et naturellement, influencé par le
cadre dans lequel je vivais). Ce n’est que plusieurs années après cette
première expérience que je me suis rendu compte de la similarité entre les
simagrées amérindiennes et africaines d’une part, et les prières et sacrements
de l’église catholique d’autre part. À différents degrés de sophistication, c’est
la même chose. Comme les Amérindiens, les Catholiques prient pour l’arrêt de la
sécheresse ou des inondations, ou pour la paix dans le monde. Cela peut être
plus précis : des otages, des mineurs bloqués au fond d’une mine… la liste
est longue.
Je ne nie pas les bénéfices des
rites et prières, récitations ou litanies sur des croyants. On sait qu’ils
génèrent de la mélatonine, et donc un sentiment de paix intérieure. Le monde
médical, connaît les miracles opérés par les placebos. Il n’en reste pas moins
que dans les deux cas, on joue sur des émotions, et non sur des objets, des
évènements ou des phénomènes naturels.
Les paroles peuvent effectivement
transformer un être humain. À force de répéter à un enfant qu’il est nul, ce
dernier peut très bien le devenir. C’est l’anti-placebo, mais en aucun cas les
paroles ne peuvent influencer la météo, les inondations, les éruptions
volcaniques ou les raz-de-marée. La prière, ainsi que les simagrées qui
l’accompagnent, ne peut en aucun cas protéger un soldat de la mort ou des
blessures.
Le pouvoir supposé de la parole
est une croyance tenace dans toutes les mythologies et dans beaucoup de
légendes. “Au commencement était le verbe”, ce qui implique clairement que
l’univers fut créé par des paroles. Dieu, bien sûr, ne s’arrête pas en si bon
chemin : on nous fournit un catalogue de tout ce que crée sa parole, à
commencer par “Fiat lux.” Viennent ensuite les montagnes, les animaux, etc. Les
religions appartiennent au domaine de l’imaginaire et de la fiction. Seul le
bouddhisme a su s’en dépêtrer, même s’il conservé des rites pour encadrer la
spiritualité.
Les hommes politiques ont bien
compris le système. “Le chômage baisse” nous répétait Hollande pendant que le
chômage montait ; “Tout va mieux”, alors que tout allait de plus en plus
mal. “L’Islam est une religion de paix et d’amour” vous diront les bobos qui n’ont
jamais lu le coran (et encore moins les hadiths).
“Sésame, ouvre-toi !” lit-on
dans les contes des Mille et Une Nuits.
Quel cambrioleur n’a rêvé que sa voix puisse ouvrir les voûtes de
banques ! Nous souhaitons bonne chance à ceux que nous aimons, et nous
envoyons nos ennemis aux gémonies, mais nous n’y croyons pas. Nous savons que
la réalité, sourde à nos paroles et gesticulations, continuera sa route pour le
meilleur ou pour le pire sans que nous y puissions rien. Nous sommes conscients
que la personne à qui nous venons de souhaiter bonne chance mourra peut-être
dans les minutes qui suivent. Nous sommes également conscients que le salopard
sur qui nous venons d’invoquer les pires malheurs, continuera à faire souffrir ses
frères humains sans aucun état d’âme, et mourra peut-être dans son lit à 95
ans.
Cette création illusoire de la
réalité par la parole n’a pas épargné nos chers bobos pour qui une femme de
chambre est devenue une technicienne de surface. Ça lui fait une belle
jambe ! Ce n’est pas cela qui lui vaudra une augmentation. Un vieil ami me
disait récemment : “Toute ma vie j’ai été aveugle, mais maintenant je suis
non-voyant. Quel soulagement !” Appeler « pays en voie de
développement » un pays sous-développé ne va pas augmenter le niveau de vie
de ses habitants. Quant à rebaptiser « sans papiers » un immigré
clandestin, c’est le comble de l’hypocrisie.
Peut-on penser que notre civilisation
ait enfin compris que paroles et réalité appartiennent à des univers parallèles
et que, comme les parallèles de géométrie, ces univers ne se rencontrent
jamais ?
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