Robert me parle de sa
femme Paula. Ils sont mariés depuis longtemps, s’entendent bien, et ne donnent
pas l’impression qu’ils se sépareront. Ce que Robert me dit n’est pas une
critique de son épouse : c’est simplement un besoin de comprendre.
“Paula est assez
bordélique. Elle a tendance à laisser les choses à l’endroit où elle s’en est
servi en dernier. Clefs de voiture, lunettes, stylos, montre, permis de conduire,
téléphone portable lui occasionnent beaucoup de soucis et lui font perdre
beaucoup de temps. Ça ne m’embête pas, car je suis moi-même un peu
bordélique ; pas autant qu’elle, mais assez pour n’avoir pas le droit de
critiquer. Ce qui m’étonne, c’est que malgré ce côté brouillon, Paula range
toujours soigneusement les emballages vides. Dans les placards, je retrouve des
pochettes de mouchoirs en papier sans mouchoirs. Dans le frigidaire, des boîtes
de yaourts sans yaourts. ‘Mais voyons’ dirait son avocat de la défense, ‘elle
aura simplement soutiré des mouchoirs et des yaourts et en aura laissé
l’emballage.’ Eh bien non : alors qu’elle ne remet pratiquement rien en
place, je ne compte plus les fois où je l’ai vue remettre soigneusement une
boîte ou un emballage vide dans un placard. Je n’ai jamais mentionné cela, bien
entendu. Je ne vais pas risquer une dispute pour quelque chose qui n’en vaut
pas la peine.”
“Mais ça t’embête.”
“Je vais te dire ce qui
m’embête. Voilà une femme intelligente. Elle est membre de MENSA. Elle a dirigé
avec bonheur un bureau de 15 secrétaires, et elle n’a pas son pareil pour gérer
un budget ou organiser des vacances. C’est essentiellement un être rationnel
qui, dans un domaine bien précis, se comporte de façon non seulement
irrationnelle, mais contraire au côté bordélique sa nature, tout au moins dans
le domaine familial. Et maintenant, je vais te dire ce qui m’embête
vraiment : si quelqu’un d’aussi intelligent que Paula peut aller remettre
délicatement un paquet de gâteaux secs vide dans un placard alors que s’il n’avait
été qu’à moitié vide elle l’aurait laissé traîner, de quelles aberrations
suis-je moi-même coupable sans le savoir ?”
“Je n’ai pas la
réponse, mon cher Robert. Je pense seulement que chacun de nous possède un côté
bizarroïde, la plupart du temps inoffensif, dû au mauvais fonctionnement d’un
minuscule aspect de cette extraordinaire machine génétique que nous sommes. Une
incitation à la tolérance envers notre entourage.”
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