Le Facteur :
Notre facteur était-il typique des années 50 ? Je ne saurais le dire. En tous cas, le nôtre était typique de la mentalité de l’époque. Nous habitions la deuxième maison à droite en descendant la route du village de Queniquen. Ancienne ferme, elle avait aussi un nom : Ker Bezo. En vieux français, comme en breton, Ker désigne un endroit. C’est plutôt vague, mais ce n’est jamais une maison (maison, en breton = ti). On retrouve ker dans Dunkerke (l’endroit de la dune, Verdun (l’endroit vert) etc. En cherchant un peu, on trouve beaucoup d’autres exemples. En anglais, cela a donné church (église). Quant à Bezo, les habitants de la région pensent que c’est le pendant du français besson, c'est -à -dire jumeaux. Le facteur commençait sa tournée à l’autre bout du village. Nous étions donc en fin de course. J’étais abonné à un hebdomadaire pour enfants intitulé Coeurs Vaillants, publication catholique mais en douceur, sans lavage de cerveau et sans faire de politique. Les communistes s’empressèrent de publier un autre hebdomadaire intitulé Vaillant qui, lui, ne se gênait pas pour orienter les jeunes âmes vers le marxisme. Coeurs Vaillants paraissait en général le mercredi, parfois le jeudi. Ces jours-là, notre facteur s’asseyait carrément sur le pas de la porte, détachait la bande d’adresse, ouvrait la revue et passait ainsi vingt bonnes minutes à lire. Il en était fou. Ma mère n’osait rien dire car il titubait, puait la vinasse et avait la réputation de se mettre facilement en colère.