Ces amoureux passionnés se
retrouvent dans l’enfer de Dante. Pourquoi ont-ils été punis ? Pour leurs
pratiques charnelles ? Je ne crois pas. C’était juste une excuse.
À l’exception du Bouddhisme, les
religions croient (ou voudraient nous faire croire) aux conséquences physiques
de la parole. « Au commencement était le verbe… ». On peut certes
affecter psychologiquement les êtres humains par la parole : les
compliments encouragent ; les critiques découragent. Mais on ne peut pas
changer les choses ou les évènements par des paroles. Lors d’une sécheresse, ce
ne sont ni les prières des Chrétiens ni les danses des Sioux qui feront venir
la pluie. Le pouvoir de la parole sur la réalité physique du monde est
inexistant. C’est un vœu pieux.
Cette impuissance entraîne un
certain niveau de frustration, surtout chez ceux d’entre nous qui sont (ou se
disent) nos guides et nos chefs. Ce n’est pas nouveau : frustré, Xerxès,
en 480 avait fait fouetter la mer pour la « punir » d’avoir
détruit son pont flottant ! Pour les chefs religieux, ce sentiment
d’impuissance mène tout droit à la folie et à la tyrannie.
Paolo et Francesca sont mariés,
mais pas l’un à l’autre. Or, qu’est-ce que le mariage ? C’est la parole.
Certes, c’est la parole donnée, une promesse, mais c’est seulement in fine une cérémonie abstraite. Tout conspire
d’ailleurs à la rendre concrète : rites religieux, musique, habillement
spécifique, banquet, bal et dépenses somptuaires.
En fin de compte, rien n’y
fait : le nombre de divorces est aussi fréquent que le nombre de
séparations entre couples non-mariés. On reste ensemble par respect, par amour
ou par nécessité, mais non pour des paroles. Par ailleurs, rien n’oblige à
l’exclusivité sexuelle, et les deux partenaires peuvent très bien être d’accord
sur ce point. « Saviez-vous que vos parents pratiquaient
l’échangisme ? » avais-je demandé à deux étudiantes qui abordaient le
sujet. « Oui » répondirent-elles, « mais on savait aussi qu’ils
s’aimaient et qu’ils nous aimaient. » Même pour le puritanisme américain
de la ‘Bible Belt’ l’infidélité conjugale n’est pas un délit.
Paolo et Francesca sont en enfer
pour avoir enfreint un tabou, c’est-à-dire un diktat, une condamnation orale.
Leur crime n’était pas d’avoir couché ensemble : c’était d’avoir défié le
pouvoir en place. Trop souvent, les moralistes sont obnubilés par la forme, et
demeurent aveugles quant au fond.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire