lundi 20 janvier 2025

Ennuivers

Ennuivers

L'univers s'ennuyait.

Alors, il décida de créer la vie.

Ce ne fut pas un succès : les animaux se battaient et se bouffaient entre eux.

L'univers se dit que les choses iraient mieux si une seule espèce, en l'occurence l'espèce humaine, possédait la faculté de se souvenir du passé et de faire des projets pour l'avenir. C'est ce qu'on appelle la conceptualisation.

Ce fut encore pire. Les hommes se haïrent, se méprisèrent, se battirent et, pire que tout, s'infligèrent les pires tortures les uns aux autres.

L'univers est perplexe. Il se gratte la tête. Faut-il tout détruire pour recommencer à zéro ?

Recommencer ? Ah non, alors ! Mieux vaut s'ennuyer.

 

vendredi 3 janvier 2025

Kenitra

 Kenitra

Kenitra

Longues plages désertes léchées par Atlantique. Restes de villas ayant appartenues à des Français avant l'indépendance. Baignades interdites, non par décret municipal ou autre, mais simplement parce que cette belle plage est, en fait, très dangereuse. Il y a des lames de fond et de traîtres rouleaux qui entraînent les imprudents vers leur dernière demeure, demeure liquide en l’occurrence.

Mémoire et souvenirs sont des phénomènes aussi mystérieux que les lames de fond. Ce sont des images qui commencent floues puis deviennent un peu plus nettes. En voici quelques-unes, pêle-mêle.

1 : Anita. Elle était grande, mince et belle. Son père travaillait pour le consulat portugais. Elle ne parlait ni le français ni l'anglais. Je ne parlais pas le portugais. Jamais histoire d'amour ne fut plus silencieuse. Je nous revois, assis sur une dune. Anita, pieds nus dans des sandales, portait généralement un chemisier vert et des pantalons blancs. Pour elle, c'était presque un uniforme. Elle empruntait la camionnette du consulat et apportait un pique-nique. Une fois, ce fut un pique-nique vraiment mémorable : fines tartines de pain de seigle sur lesquelles nous étendions du caviar. Anita n'avait pas oublié le champagne, gardé au frais dans une mini-glacière. Pour moi, issu d'une famille modeste, caviar et champagne étaient une découverte. Comme dessert, de juteuses grappes de raisin blanc. Comme second dessert, les succulentes lèvres d'Anita. Nous mourrions d'envie d'aller plus loin mais sans la moindre possibilité de nous cacher, nous restions désespérément chastes. Belles et tristes rencontres...

2. Gordon. A la tour de contrôle, je travaillais souvent avec Gordon, un fort sympathique Américain qui  venait de Ogden, Utah. Et, de même que pour les Américains la France c'est Paris, Utah, pour les Français égale Salt Lake City. Ogen a tout de même près de 100,000 habitants ! La ville est située dans un cadre montagneux magnifique. Quand le trafic aérien nous donnait le temps de bavarder, Gordon et moi bavardions. Il mettait souvent de la musique 'country' dans la tour. C'était une découverte en ce qui me concerne et j'en ai gardé le goût. Mais c'est surtout la musique classique qui nous a rapprochés. Bien peu d'Américains avaient conscience qu'elle existât mais chez les Mormons, l'orgue et les chœurs du Tabernacle avaient habitué la population à certains aspects de musique classique. Un jour, Gordon et moi parlions des cinq concertos pour violon de Mozart quand il me demanda à brûle pourpoint : "Es-tu homosexuel ?" Je ne le suis ni ne l'étais mais je voulus savoir pourquoi il me posait la question. Gordon était fort embarrassé et me demanda plusieurs fois de lui pardonner. Il m'expliqua que j'étais quelqu'un d'assez calme, en général, que j'avais un diplôme universitaire en littérature française, que je n'allais pas me saoûler tous les vendredis soirs et que je ne déguelais pas sur le trottoir en revenant d’un bar mal famé à quatre heures du matin. Pour beaucoup d'Américains, j'exhibais par là tous les signes de l'homosexualité. Je demandai alors à Gordon si lui, il était homo. Non. Pour se faire pardonner, dit-il, il m'invitait à déjeuner au meilleur hôtel de Kenitra un jour où ni lui ni moi ne serions de service. Ce qui fut dit fut fait. On nous servit en entrée des cassolettes de gratin d'huîtres. Un délice ! Moment inoubliable entre amis.

3. L'église. Agnostique, je ne vais pas à l'église pour assister aux offices, mais j'y vais si l’on y donne un récital d'orgue. L'un de mes amis dans l'Aéronavale s'appelait Julien Lessen. Ce nom de famille aux résonances anglaises ne l'empêchait pas d'être breton depuis plusieurs générations, depuis l'époque, probablement, où la Bretagne s'était offert le luxe d'une guerre civile en parallèle avec la Guerre de Cent ans. Julien Lessen jouait merveilleusement bien de l'orgue. Nous allions à l'église de Kénitra. Il jouait. J'écoutais. Cette église existe-t-elle encore ?  En 1960, il n'y avait encore ni Al Qaeda, ni Isis, ni Hamas, ni Hesbollah. Cela aurait pu continuer indéfiniment mais Allah déteste les Juifs et les Chrétiens, lit-on dans le Coran. Pour obéir à Allah, certains musulmans ont décidé d'en faire autant puis de passer de la détestation à la persécution et au terrorisme. 

Cette année-là, l'église de Kénitra avait organisé une kermesse. Avec deux ou trois amis, j'avais organisé un stand de massacre : on devait envoyer une balle de tennis vers une rangée de portraits sur contreplaqué qui représentaient les officiers de la base aéronavale. Gros succès. Un Marocain, saoul comme une bourrique et buvant à même une bouteille de cognac, commença à hurler tout en agitant sa bouteille sous le nez des femmes et jeunes filles. "Il faudrait peut-être appeler la Police" suggérai-je. "Oh, malheureux, ne fais pas ça !" me dit le curé de la paroisse : "Ils vont le tabasser !" Trop tard. Quelqu'un nous avait devancés. Je vis deux policiers agripper l'ivrogne et le rouer de coups. Le sang giclait de son visage. La foule devint silencieuse. L'ivrogne fut entraîné hors de la fête. Nous nous sentions coupables.

 

 

 

jeudi 19 décembre 2024

Premières amours

 

Quatorze ans


Tu auras toujours quatorze ans

ma calme et douce lycéenne

aux grands yeux bleus, aux blonds cheveux,

au regard triste et douloureux,

aux longues jambes remontant

sous l'ombre d'un manteau d'hiver.


Ayant perdu Papa, Maman,

tu vivais chez tes grands parents.

Tu recherchais ma compagnie

et moi, perclu de religion,

je ne savais comment t'aimer.


J'étais ce que voulait mon âme.

et je pliais sous la douleur

d'un catholicisme imposteur,

ce poison qui détruit les cœurs.


Et comment vas-tu maintenant ?

Ton rêve est-il toujours vivant ?

Le mien est mort depuis longtemps.

Tu auras toujours quatorze ans ans.

mercredi 18 décembre 2024

Amitiés

Il y a des amitiés qui durent. Deux des miennes ont commencé en sixième. Michel était joli comme un chérubin avec son visage rond et ses  cheveux blonds et bouclés.  Nous ne disions pas grand chose. Nous aimions simplement être ensemble. Michel est devenu prof d'anglais. Pour se familiariser avec la langue parlée, il est allé passer un an à l'Université de Colorado à Boulder. Un jour, alors qu'il regardait un match de football universitaire en mangeant un chien chaud, il fut piqué par deux guêpes américaines (yellow jackets), semblables aux nôtres mais plus grosses, qui s'étaient posées sur la saucisse de Francfort. Sa langue enfla immédiatement. Une ambulance arriva et lui épargna le désagrément de mourir étouffé.

L'autre s'appelait Gérard. Intelligent, actif, myope et porté aux excès (de vitesse ou d’alcool). Il aurait voulu devenir chirurgien mais ses problèmes de vue firent qu'il dut se contenter d'être médecin généraliste. Il épousa Denise qui était devenue médecin du travail. Il mourut de leucémie à l'âge de 73 ans. Gérard et moi avons fait notre tour de France à bicyclette. Partis de Saint-Nazaire, nous sommes allés par étapes jusqu'à Bruxelles car nous voulions tous les deux voir l’Atomium. De là, nous sommes descendus sur la côte d'Azur puis nous sommes remontés vers le nord en passant par Narbonne. Nous avions des vélos ordinaires sur lesquels étaient empilés une petite tente et le minimum d'équipement nécessaire à notre survie. Au début, nous faisions des étapes de 50 Km par jour mais peu à peu nous arrivâmes à 75, 100 puis 125 Km. Notre record : 150 !... et ce soir-là nous sommes allés danser. Comme la jeunesse est belle !

Plus tard, en Terminale, j'ai connu l'amitié d'un autre Michel. Il était plus intellectuel que les deux autres. Je luis dois une dette immense, je dirais même immentissible si le mot existait : l'introduction à la musique classique. Il lisait beaucoup aussi et me fit connaître de grands romanciers américain dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Il devint journaliste dans le domaine de la finance. Pas très folichon, sauf, bien sûr, pour ceux que cela intéresse. Tous les ans, il m'invitait à venir passer une semaine chez lui sur l'Ile d'Yeu. Nous discutions interminablement. De mes trois amis, c'est celui qui maintenant me manque le plus. Il a contacté la maladie de Parkinson et il est mort en 2018.

Une réflexion de la part de Denise m'a fait réfléchir : "Si vous vous rencontriez de nos jours, vous ne deviendriez jamais amis." Elle a certainement raison mais pourquoi a-t-elle raison ? 

mardi 17 décembre 2024

Grandes vacances

 Les grandes vacances ! Le seul énoncé de ces trois mots diffusait déjà son parfum de poésie car pour les enfants le temps passe très lentement. En effet, leur coeur bat plus vite que celui des adultes. Plus le coeur bat vite plus le temps passe lentement. A contrario, les vieilles gens (dont je fais maintenant partie et dont le coeur bat plus lentement) ont l'impression que le temps passe vite. Je me demande ce que ressentent les éléphants. En effet, leur coeur ne bat que 20 fois par minute !

Un pré-adolescent a l'impression que les grandes vacances n'arriveront jamais. Quand elles arrivent quand même, il pense qu'elles ne se termineront jamais. Les opinions sur la durée de ces vacances varient énormément et il existe de bon arguments pour les raccourcir ou les préserver. Je suis pour la préservation. Lorsque je rejoue dans ma tête les vacances passées au Chefresne, je les vois auréolées de poésie mais aussi d'un enseignement différent de celui de l'école. Je les passais chez mon oncle qui était le curé du village.

Il y avait d'abord le presbytère et son parfum de fraîcheur, même durant les canicules... le grand jardin potager entouré de bandes de fleurs telles que des giroflées ou des iris. Je pense aux ruches et au fascinant apprentissage de la vie des abeilles... la rivière, encore non polluée avec sa faune de poules d'eau, truites, anguilles, couleuvres, libellules, patineurs et rats d'eau, sans compter les habitués du lieu tels les canards ou les martin-pêcheurs. Autrement dit un vaste monde de sensations, une encyclopédie de vie aquatique. 

Ces souvenirs enchanteurs me sont douloureux maintenant. La rivière qui traversait le domaine du presbytère est tout simplement morte. Nitrates, insecticides, pesticides et fongicides agricoles l'ont transformé en un ruban jaunâtre et saumatre. Les eaux s'écoulent en un silence de mort. A vouloir tout améliorer, on a tout détruit.


 

samedi 14 décembre 2024

L'inspecteur

Les inspecteurs


Les profs ont peut-être tort d'avoir peur des inspecteurs... ou alors, j'ai eu beaucoup de chance.

Cotonou : Jamais d'inspection.

 Hagersville : Mon premier inspecteur était remarquable. Au lieu de débiter tout ce qui n'allait pas dans ma façon d'enseigner, il m'a simplement demandé d'aller écouter une leçon dans la classe d'une certaine Mme Jacques. Là, je me suis rendu compte que je n'avais pas vraiment à m'inquiéter. Néanmoins, l'approche de cette Mme Jacques m'a effectivement fourni quelques précieux tuyaux sur la façon d'enseigner au niveau secondaire.

Port-Hope : Aucune inspection.

Pittsburgh :  Aucune inspection.

Basildon :L'enseignement à Barstable n'était pas digne du nom "enseignement". C'était du gardiennage. Les profs survivaient d'une journée sur l'autre et les voyous régnaient en maîtres. Aucun élève n'était renvoyé car (version officielle) cela aurait "nui à la réputation" de l'établissement. Quelle réputation ? Cette école n'était qu'une poubelle où les rares élèves qui apprenaient quelque chose le faisaient malgré l'école et non à cause d'elle. Mr Wally, l'inspecteur de français et espagnol, s'empêtrait dans des théories fumeuses pour que les langues étrangères soient "accessibles aux élèves". Cette sinistre comédie faisait perdre des millions de livres aux contribuables.

Southend-on-Sea : Eastwood High School for Girls représentait l'exemple même de ce qu'une Secondary Modern School pouvait et devait être. En principe, cet établissement était destiné aux élèves peu doués. En fait l'atmosphère était à la fois studieuse et sympathique avec une place non négligeable pour l'humour. Les résultats suivaient. Dans certaines disciplines nous avions presque les mêmes taux de réussite aux examens que les Grammar Schools. Cet état de fait ne pouvait pas durer. Les grands pontes de l'enseignement public décidèrent que l'établissement deviendrait mixe. Dès que les garçons arrivèrent, les résultats chutèrent, l'atmosphère se détériora et la médiocrité (parfois soulignée de violence) s'installa. Je n'ai eu, durant cette deuxième période qu'un seul inspecteur, homme fort sympathique d'ailleurs, qui décida de prendre l'une de mes classes en main pour se "remettre dans le bain" disait-il. Il en sortit "échevelé, livide au milieu des tempêtes" et me souhaita bonne chance.

Chatham : Un seul inspecteur, lui aussi fort sympathique. Les problèmes de l'école venaient de la direction, non des élèves. Il existe ainsi toute une clique d'"expert" qui sont obsédés par les méthodes. Peu importe les résultats. Réunions à tous les niveaux  sur le "dévelopement du curriculum" et autres considérations fumeuses. L'établissement : Chatham Grammar School for Girls, n'en restait pas moins une école au-dessus de la moyenne. Qu'en est-il maintenant, 30 ans plus tard ? Nos grands théoritiens finiront bien par la détruire.

 

lundi 9 décembre 2024

Appareils photo

 L'un de mes projets (du genre qui ne se concrétisera jamais) serait d'installer au salon ou dans mon bureau, un présentoir vitré exposant tous les appareils photo qui me sont passés par les mains. Je les trouve beaux. Ce n'est pas l'avis de tout le monde.

Gamin, j'étais fasciné par l'appareil à soufflet de mon père. Tous ces réglages ! Et l'image 6x9 qui apparaissait sens-dessus-dessous sur le verre poli ! 

Je n'ai plus le premier appareil que j'ai acheté avec mes propres deniers. C'était un minuscule 24x36 qui prenait des photos d'une exceptionelle qualité. Ce n'était pas une grande marque, et j'ai oublié le nom.

Au Canada, en 1967, j'ai acheté un Pentax. L'obturateur à rideau n'a rendu l'âme que dix ans plus tard. Puis vinrent un Exa, un Exacta et un Fuji.

L'ère des photos digitales est apparue vers l'an 2000. Je suis passé à Canon puis Sony. 

On a dit ensuite que les appareils photo n'avaient plus raison d'être, les téléphones portables donnant de semblables résultats.

C'est donc avec plaisir que j'ai lu un article récemment sur le retour (modeste) de l'appareil photo. La carte digitale est plus facile à manier sur un ordi. Je dis bonne chance à tous ces appareils : ils ont leur place.