L’attentat de Manchester évoque irrésistiblement
celui du Bataclan. L’horreur se banalise, et même si l’on se sent un peu
coupable de l’admettre, on se sent également assez éloigné de tout cela. Mais
pas toujours…
Après le Bataclan, je suis allé rendre visite à une
amie qui s’était cassé l’os du bassin en tombant. Elle m’a dit que sa nièce
était l’une des victimes. Quelque chose a bougé en moi, et je me suis soudain
senti beaucoup plus proche des victimes et de leur famille.
On ne peut pas prendre sur soi toute la misère du
monde, mais quand cette misère vient vers nous, il est inévitable qu’elle nous
affecte.
Il y a quelques décennies de cela, Amnesty
International m’avait demandé de traduire de l’anglais au français une lettre
destinée au dictateur marxiste du Bénin, Mathieu Kérékou. Lorsque les
communistes prirent le pouvoir en 1974, ils mirent tous les prêtres
catholiques, tous les pasteurs protestants et tous les chefs religieux
animistes en prison : 12 par cellule. Ils étaient tellement entassés
qu’ils devaient établir un roulement car seulement deux d’entre eux pouvaient, à
la fois, s’étendre à même le sol. On me donna la liste des prisonniers de
Cotonou. À ma grande surprise je repérai le nom d’un prêtre que j’avais connu.
Ce Dahoméen et moi avions enseigné dans le même établissement. Ce n’étais pas
un ami, seulement un collègue : bonjour,
bonsoir, ça va ? C’est à cela que se limitaient nos rapports. Et
pourtant, quand je vis son nom sur la liste, je sentis mes tripes se tordre de
douleur. Voilà quelqu’un que j’avais connu, côtoyé, à qui j’avais parlé, et qui
au moment même où je prenais connaissance du message d’Amnesty, subissait dans
sa prison ce qu’il faut bien appeler de la torture, 24h sur 24, sept jours sur
sept.
Devais-je me sentir coupable de ne pas éprouver la
même chose pour les autres prisonniers ? Je n’ai pas la réponse. Je me dis
simplement que des moments comme ceux-là sont de grandes leçons d’humilité.